Daniel Lavoie - Interview 2007

Daniel Lavoie - Concert La Cigale (Paris) 2012

Daniel Lavoie - Concert L' Européen (Paris) 2014




Interview

Daniel Lavoie - Interview - Pierre Derensy


Daniel Lavoie est un homme sympathique. Qui a toujours fonctionné comme un être humain avant d’être un artiste. Prenant du plaisir à chanter. Mettant sur le devant ses convictions, avec une musique attachante et une voix particulière, il nous livre dans son « Docteur Tendresse » de la joie de vivre.

Pierre :
Il faut combien d’années d’étude pour avoir son diplôme de docteur tendresse ?
Daniel Lavoie :
Ca ne se s’étudie pas à l’école mais ça prend environ 57 années de vie (rire).
Pierre :
Un chanteur a t’il le profil pour guérir toutes les blessures ?
Daniel Lavoie :
(rire) Ca dépend des chanteurs, je le crains. Et surtout des raisons pour lesquelles il chante. Mais je pense que quelqu’un qui fait de la musique pour le bien être et le bonheur des gens qui l’écoutent a des chances de guérir, en tout cas certaines petites maladies.
Pierre :
Mais alors qui s’occupe du chanteur lui même quand il est malade ?
Daniel Lavoie :
J’ai la femme du chanteur qui est plutôt bien diplômée et elle s’en occupe très bien !
Pierre :
Pensez vous que l’humanité est en danger et qu’il est temps de s’en rendre compte ?
Daniel Lavoie :
Ecoutez c’est un constat que je fais, j’espère me tromper mais depuis une dizaine d’années, les choses ne s’arrangent pas et ceux qui devraient avoir la responsabilité de diriger le monde parce qu’ils ont bien voulu la prendre, ne semble pas le faire avec responsabilité. Ils ont plus le temps à agir comme des hommes d’affaires, avec cupidité et égoïsme, qu’avec un véritable égard envers l’être humain. Si nous continuons d’être dirigés par des gens qui ne pensent qu’à eux-même, aux lobbies industriels et aux gens riches, c’est certains que l’on n’a pas une grande chance de s’en sortir. Mais j’ai confiance : on a eu souvent des gros coups et pourtant nous sommes toujours là, d’où mon optimisme. Mon choix volontaire d’être optimiste dans ce disque.
Pierre :
On a l’impression que Daniel Lavoie a une âme de révolutionnaire pacifiste ?
Daniel Lavoie :
C’est un peu ça. Je n’ai jamais pensé que l’on arrivait à grand chose avec les armes. Cela dit, c’est beaucoup moins spectaculaire et les gens ne s’en rendent pas compte mais j’ose espérer que cela fait son chemin et qu’éventuellement, il y a aura beaucoup de Docteur Tendresse, car lorsqu’il y aura 200 millions de réfugiés climatiques qui commenceront à cogner aux frontières, il y a aura du travail.
Pierre :
Est ce que vous êtes chanteur parce que finalement vous êtes un grand utopiste ?
Daniel Lavoie :
Utopiste voudrait dire que c’est quasiment impossible donc non. Je crois que la vie est là avec des directives évidentes et claires. On est loin d’avoir terminé notre évolution. Il faut juste passer par cette folie industrielle pour arriver à cette technologie qui nous sauvera. Nous vivons la période la plus fragile car nous avons tout pour nous détruire et en même temps, tout ce qu’il nous faut pour nous sauver.
Pierre :
Sur cet album vous vous impliquez aussi sur le côté textuel, c’est compliqué de vous pencher sur la feuille blanche ?
Daniel Lavoie :
Cela ne change pas vraiment. Quand je chante un texte je l’ai choisi, par contre j’avais besoin d’écrire mes propres textes pour justement défendre mes convictions. Les gens ne me proposent pas toujours ce qui correspond à mon idée. Je ne fais pas pour autant de la politique, je fais de la musique, j’essaye d’offrir du plaisir et du bonheur. Je veux jouir par l’art. Ecrire des textes, ça a toujours été compliqué pour moi. Surtout quand on sait exactement ce qu’on voudrait faire. C’est du travail. Exigeant. Mais bourré de plaisir. Ce n’est pas quelque chose qui me fait souffrir. Avant je commençais par la musique car j’étais beaucoup plus attaché à la musique, maintenant je débute par le texte, car il a sa propre musique et dicte aux notes où se placer. Je préfère laisser le texte diriger la musique plutôt que l’inverse. La musique est une matière beaucoup plus élastique. Elle se plie dans tous les sens.
Pierre :
Il y a quelque chose qui se plie très bien dans ce disque c’est votre voix, vous étonne t’elle encore ?
Daniel Lavoie :
Peut être que oui… je suis surpris de la voir changer avec les années. Quand on vieilli évidemment, notre voix change, mais il y a aussi tout le travail apporté. J’aime expérimenter, faire des choses nouvelles avec ma voix. Dans ce disque, j’ai tout chanté chez moi, seul dans mon petit studio, sans technicien, sans ingénieur ni réalisateur, tout seul dans le noir, je travaillais la nuit souvent. Il y a une intimité que je n’ai jamais eu sur un autre album. Cette fois, j’ai pu me permettre des impudeurs que je n’aurais jamais eues avant.
Pierre :
« Sous les Cèdres » est inspiré d’une phrase de Léo Ferré, fait il parti de vos inspirations ?
Daniel Lavoie :
C’est quelqu’un que j’aime beaucoup. Je l’entends toujours avec grand plaisir. Je tombe rarement sur une de ses chansons sans l’écouter jusqu’au bout. De tout ceux qui ont fait la chanson française, c’est sûrement lui que je préfère. C’est mon grand des grands !
Pierre :
Dans les nouveaux chanteurs, qui vous a marqué récemment ?
Daniel Lavoie :
La personne qui m’a le plus marqué, je crois que c’est Camille. Je la trouve remarquable par son originalité, et qui écrit, en plus et c’est rarement souligné, extrêmement bien. Ca ne correspond peut être pas à ma façon de voir les choses mais elle est très talentueuse. Au Québec, j’aime Pierre Lapointe, Ariane Moffatt.
Pierre :
Vous demandez à deux filles de venir vous soutenir sur l’album ?
Daniel Lavoie :
Ce sont des copines, des chanteuses avec qui j’ai travaillé, j’ai réalisé l’album de Marie-Joe-Thério, de Louise Forestier, ce sont des chanteuses que j’admire. Elles sont tout naturellement sur mon disque. Elles ajoutent cet élément de touche féminine qui est parfois nécessaire à un album.
Pierre :
Etre chanteur a t’il été pour vous le meilleur moyen de trouver votre liberté ?
Daniel Lavoie :
Carrément oui. Juste oui ! J’ai pu vivre la vie que je voulais grâce à la chanson, je ne crois pas que j’aurais pu le faire autrement. Evidement, j’ai du faire des choix, qui n’étaient pas ambitieux, mais des choix de liberté et je les ai assumés tout le temps à chaque fois. J’ai été très chanceux, j’ai réussi quelques bons coups. J’ai toujours essayé de travailler assez pour gagner assez et vivre plutôt bien sans plus. Parce que je ne suis pas un homme riche mais j’ai tout ce qu’il me faut. Je me considère très chanceux et très privilégié.
Pierre :
La dernière chanson de votre disque s’intitule « Les Marchands d’artistes » ?
Daniel Lavoie :
C’était voulu comme vous semblez l’avoir compris. Si vous regardez ce texte, il ne critique personne. Il n’écorche personne, il ne fait que constater quelque chose. Je me considère parmi ces gens souvent, toutes les choses dont je parle dans ce titre, je les ai faites au moins une fois dans ma vie, c’était surtout pour rire et m’obliger à un exercice de lucidité.
Pierre :
Vous expliquez qu’entre ce que vous voulez dire et ce que les gens comprennent, il y a un monde, alors qu’une chanson optimiste devienne pessimiste ne vous dérange pas ?
Daniel Lavoie :
Les gens parfois vont me parler d’une chanson et je ne sais pas dire de laquelle ils vont me parler. Ils comprennent différemment de moi. C’est une re-création, une appropriation personnelle, c’est ce qui fait que lorsque tu chantes dans une salle, personne n’entend la même chose. J’ai fait une chanson écolo et qui a sonné chez mes auditeurs comme une chanson d’amour. Je voulais faire un constat d’échec avec la planète et mon public l’a vu parfois comme un trip de drogue, d’autres comme un truc fleur bleue (rire).
Pierre :
Entre votre patrie et votre pays d’adoption : êtes vous considéré de la même manière ?
Daniel Lavoie :
Vous savez au Québec, c’est un pays jeune, on mange rapidement les gens, on les bouffe et on les jette quasiment simultanément. Là bas on a fait ça avec moi plusieurs fois alors qu’il y a une continuité en France. Une continuité. Je sens un respect et une chaleur que je ne sens pas toujours au Québec. Là bas ça monte et ça descend. Il y a une année où je vais être très présent et l’année d’après on m’a totalement oublié. C’est rassurant quand on est artiste depuis longtemps d’avoir cette relation de constance que l’on trouve ici.
Pierre :
Votre plaisir à chanter « Ils s’Aiment » ne s’est jamais transformé alors que beaucoup d’artistes en auraient vite eu marre de toujours se voir réduit à un titre ?
Daniel Lavoie :
Je l’aime toujours ma chanson ! elle fut tellement bonne pour moi. C’est une chanson qui sonne encore très vrai même 25 ans plus tard. Et mon dieu : faire plaisir aux gens, je ne demande que ça. Je veux bien leur chanter à chaque fois si cela leur fait plaisir.
Pierre :
Quelle sera la prescription lors des concerts du docteur tendresse ?
Daniel Lavoie :
J’ai dit et je redis que je veux faire un one-man-show. J’avais envie de partir avec un groupe de musiciens et en travaillant les chansons au piano depuis 2 mois, j’ai redécouvert la force de cet instrument et j’ai eu envie de partir seul sur la route, de rencontrer le public seul en tête à tête. J’ai fait mon petit examen de conscience et je me suis demandé si je préférais les voix seules ou avec un grand orchestre et à chaque fois, j’ai préféré le coté intimiste. C’était le cas par exemple avec Léo Férré, il m’avait bouleversé. Je me méfie car ce n’est pas facile, c’est beaucoup plus dangereux. Donc ce sera seul avec un piano.
Pierre :
Je voulais savoir si Daniel Lavoie était du même acabit que ses illustrations de pochette de disque, c’est à dire enfantin mais perturbé ?
Daniel Lavoie :
Je suis moins perturbé que les illustrations. Je crois que j’ai fait la paix avec le monde. Mais le petit bonhomme un peu fragile, amoché : c’est nous, c’est tout le monde, c’est pas juste moi. C’est la petite bête humaine un peu étonnée de se retrouver hors contrôle.