Piers Faccini - Interview 2006

Piers Faccini - Festival Indetendances 2009

Piers Faccini - Concert La Cigale (Paris) 2009




Interview

Piers Faccini - Interview - Pierre Derensy


Piers Faccini est une rivière. Tels Jean Gabin dans « Un singe en hiver » il recherche par ses compositions mélodiques à mêler les couleurs de différents affluents (folk, jazz, world) pour, sur 14 chansons, faire couler ses mots dans une encre verte qui porte le signe de l'espérance. Piers est une arme fatidique contre la morosité et la mélancolie. Il est donc un élément liquide qui absorbe les pleurs, les larmes de joie et transfert le tout dans « Tearing Sky ».

Pierre :
Tu terminais ton précédent album par le constat que tu ne pouvais pas attendre un jour de plus, finalement deux ans après, notre attente à nous est comblée par un disque superbe, qu’as tu fait pendant ce temps ?
Piers Faccini :
Beaucoup de choses mais en même temps dans un autre sens pas grand chose… pour moi ce qui est important sur ce qui relie ces 2 albums c’est mon travail au quotidien, ma façon de vivre dans lequel la chanson est une partie, peut être la principale mais une partie seulement. Pour moi l’idée de faire de la musique correspond à trouver une issue, une issue pour exprimer ce que je suis. Dans la foulée du premier album j’ai pu faire pas mal de concerts, et avoir l’avantage de ne pas me stresser même si je ne gagnais pas beaucoup à chercher un boulot à droite, à gauche pour vivre. Ces nouveaux morceaux ont été écrits dans une période précise, dans un temps pas super large, sur une période d’un an j’avais tout écrit. Je vois ces 14 morceaux comme une unité.
Pierre :
Ton premier disque tu avais eu tout le temps pour l’écrire, le finaliser voir le rêver alors qu’avec la seconde marche que constitue « Tearing Sky » tu as du changer ta manière de gravir les échelons ?
Piers Faccini :
Je n’ai pas changé ma manière d’appréhender mon art. Je le vis au quotidien. Là c’était juste une histoire de « délais ». Quand tu n’as pas de maison de disques tu écris plein de morceaux sans savoir quoi en faire alors qu’ici tout était précis. Dès le début j’étais dans un truc d’écrire pour un album alors qu’avant le premier je ne m’engageais que sur mes convictions. Sur ces 14 morceaux je suis parti de l’idée de faire 14 chapitres d’un roman.
Pierre :
Dans ton nouveau disque il y a beaucoup de rythmes tribaux, d’ambiances particulières, on dirait que tu as vraiment assimilé le blues américain et la tradition griot africaine pour en faire un disque ?
Piers Faccini :
Tu utilises le mot assimilation et c’est le mot le plus juste que tu pouvais trouver. Je pense que cela fait des années que j’écoute des musiques différentes. Des musiques qui font le tour de la terre. Le truc c’est qu’on peut être un touriste musical sans jamais en faire quelque chose de concret. Tu vois ce que je veux dire : écouter et assimiler mais pas retranscrire une forme personnelle de toutes ces influences. Pour digérer, assimiler ces thèmes il faut beaucoup de temps. Tu dois te laisser noyer par ces musiques, en être amoureux. J’en était tellement épris que moi je n’existais plus. Pour faire quelque chose d’intéressant il faut attendre d’émerger sans avoir peur de perdre son souffle. C’est quelque chose de particulier, qui n’est pas un pastiche, une copie. J’ai essayé de le faire avec la musique indienne, brésilienne, malienne. J’étais un voyageur un peu nomade. Ce qui s’est passé sans le faire exprès, c’est que j’ai réussi à faire une cohésion de tout ça, un style inconscient. On ne peut pas créer un style mais s’offrir une forme d’écriture, non forcée, qui est le fruit de ces années d’attente. Je cherchais à faire quelque chose de particulier, d’intéressant sans faire de la musique hommage à des autres musiques.
Pierre :
Il y a des morceaux qui correspondent très bien à ce que tu dis comme «Sharpening Bone » ?
Piers Faccini :
Oui ! ou comme « Come The Harvest » qui est une balade très anglaise dans les mots et la voix, alors que dans la guitare on sent l’influence de la musique malienne.
Pierre :
Chez toi le Nil est un confluent du Mississipi ?
Piers Faccini :
(rire) c’est bien ! j’adore tous ces genres de métaphores…
Pierre :
Tu franchis les frontières et les genres sans problème, avec que ce soit dans ta musique ou ta peinture, l’idée d’explorer une terre inconnue ?
Piers Faccini :
Pendant de longues années j’ai eu cette nostalgie de retrouver une terre absolue. Je me suis rendu compte qu’à force d’être tellement perdu j’étais bien. Tu peux le voir de façon négative et te dire que tu ne sais pas où tu es, mais si tu enlèves le coté négatif de la chose c’est aussi le coté positif de toujours bouger. C’est la nature de l’homme de toute manière.
Pierre :
Peut on dire que tu t’es crée un mysticisme particulier, on dirait que tu aimes t’enivrer du mystère de la vie ?
Piers Faccini :
C’est dur à en parler. Les termes nous fixent dans un certain cadre alors que pour moi, cet aspect mystique si tu veux le qualifier ainsi, c’est une façon de parler de quelque chose mais sans le réduire à une explication. Je parle de quelque chose sans jamais dire dieu ou religion, sans jamais rentrer dans un dogmatisme. C’est aussi un autre aspect du voyage. C’est presque une façon d’offrir une religion pour les gens qui ne croient pas.
Pierre :
C’est pour ça qu’il y a beaucoup d’espoir dans ton album ?
Piers Faccini :
C’est surtout se demander s’il y a une façon de regarder la nature, la ville, l’existence sans le réduire à une sorte de dualité entre dieu et la création. Je ressens cette ambiguïté et la chose la plus importante dans tout ça c’est le silence. Le silence on ne peut rien y ajouter, on ne peut pas en parler. Pour moi parler de dieu, de dogme c’est une sorte d’incapacité à rester dans le silence. La musique c’est le silence qui danse. L’espace entre les notes, c’est ça qui fait la beauté d’une mélodie et le rythme. Pourtant c’est la première chose qu’on oublie.
Pierre :
Ton premier disque était enregistré à Amiens, là tu es partis enregistrer ton album aux USA, c’était pour la mythologie ou il y avait vraiment quelque chose à rapporter de là bas ?
Piers Faccini :
Pour les deux : ce n’était pas un choix, juste une combinaison de hasards. Pour le premier c’était le fait d’être copain avec Vincent Ségal qui m’a invité à enregistrer sur Amiens et le deuxième JP Plunnier qui a produit l’album, m’a demandé d’aller là bas pour enregistrer avec sa famille de musiciens. Il voulait me mettre dans son environnement. Mais c’est tellement délicat et précieux d’avoir un producteur qui vous comprend. Mais que ce soit avec JP ou Vincent, il m’a fallu être en phase avec leurs manières d’être sans être en réaction, sans relation de force : auteur-producteur. Quand ça se passe bien tu dois être un engin qui couvre énormément de distances.
Pierre :
En même temps, sa méthode d’enregistrement, sa manière de « voir » un disque, ressemble étrangement à la votre ?
Piers Faccini :
Il y a un certain mystère dans la vie : parce que tu te retrouves souvent, sans aucun effort à bosser avec des gens qui ont une complémentarité avec toi. Une complémentarité qui n’est pas du tout verbale. C’est ce que j’ai aimé dans ce disque. On avait tous les deux une façon de travailler instinctive qui était en phase avec l’autre. Il y a un coté animal, instinctif. Dans la production du disque et dans le son JP a un coté shamanique. Pour lui il fallait faire un voyage dans le désert, avec un minimum de décoration avec une voix qui raconte, qui crée des espaces.
Pierre :
Une bonne partie des gens qui t’ont aidé sur ce disque ont été, ou sont encore photographe ou écrivain, tout comme toi ils touchent à d’autres catégories artistiques que la musique, est ce un plus ?
Piers Faccini :
L’avantage c’est qu’il n’y a jamais une forme de paresse. En ayant un autre aspect de son travail, on passe d’une chose à une autre assez vite. Moi par exemple je n’écris pas de la musique tout le temps, j’ai des périodes qui vont de plusieurs semaines à des mois entiers, où je ne fais absolument rien sous forme musicale mais par contre je travaille toujours à un tout. En faisant d’autres disciplines c’est comme une manière de respirer profondément. J’ai soudain l’impression que tout est frais. On est à l’opposé du mec qui a pris ses habitudes. Ce qui est intéressant dans la musique c’est lorsque l’on sent que tout est vécu comme la première fois.
Pierre :
Plusieurs chanteurs comme Devendra Banhart peuvent être assimilés à tes convictions d’une musique vivante, que penses tu de cette qualité artistique qui s’offre une place de choix en France, et penses tu qu’il existe vraiment une exception culturelle française ?
Piers Faccini :
J’ai l’impression que maintenant, c’était différent il y a 5 ou 10 ans, on n’est plus dans une période où tout ce qui doit se passer se trouve aux Etats-Unis ou en Angleterre. Les gens en France sont différents, je trouve le public français attentif à la musique, très vivant, pas trop concerné par les modes ou les tribus. Tu peux avoir des gens d’âges différents également. Souvent c’est tribal un concert, le public français est plus ouvert, pas fermé par des habitudes vis à vis de la musique. C’est peut être l’avantage d’être un pays qui a été moins dans la première vague de la musique populaire. J’ai un passeport anglais, mon père est italien, ma mère anglaise, j’ai vécu en France et en Italie mais je sais que pour le moment l’endroit où je prends le plus de plaisir à jouer c’est bien en France et en Italie. Juste par cette capacité d’écoute.