Souad Massi - Interview 2006

Souad Massi - Festival Le Chant de Marin 2015




Interview

Souad Massi - Interview - Pierre Derensy


Dans le monde de Souad tout est jolie. Tout resplendit. On pourrait parler du charme particulier de l’Orient, on pourrait faire un parallèle avec un oasis au milieu du désert. Mais la musique de Souad Massi est beaucoup plus particulière, elle n’a pas de frontière, ni de culte sauf celui de la spontanéité et du partage. Tout ce que l’on peut désirer, au fond elle vous l’offre gratuitement sur un autel à la gloire du plaisir.

Pierre :
J’ai voulu vous rencontrer car Dani m’a dit tout le bien qu’elle pensait de vous, vous citant dans ses artistes préférés, est ce que cela vous fait plaisir ?
Souad Massi :
Elle est gentille… c’est une grande dame pleine de générosité, ouverte, ouverte à la musique, forcément que cela me fait plaisir.
Pierre :
On dit de votre nouvel album qu’il est le plus ouvert de votre carrière, le pensez vous aussi ?
Souad Massi :
Peut être… je ne m’en rends pas compte. J’écoute beaucoup de choses vous savez, dans les deux albums précédents j’ai touché un peu à tout aussi. Ce n’était pas des purs albums folk ou rock ou de la musique traditionnelle, j’essaye de toucher un peu à tout.
Pierre :
Vous débutez votre disque par « Mesk Elil » (Chèvrefeuille) qui parle de vos racines qui sont loin, est ce que vous souffrez de cet exil ?
Souad Massi :
Par moment oui. Je n’y pense pas tout le temps. Vous savez là nous ne nous arrêtons pas de voyager, de donner des concerts, d’être en mouvement du coup quand on s’arrête comme ici une dizaine de jours on pense à la famille, au pays, surtout lorsque l’on va dans des endroits où il y a beaucoup de similitudes comme la Corse ou l’Espagne. Dès que vous touchez à la méditerranée ça nous renvoie chez nous.
Pierre :
Dans « Kilyoum » vous faites souffler l’espoir que bientôt vous pourrez d’une certaine manière vous « disculper » de cette absence ?
Souad Massi :
Cette chanson résume ce que je vis, ce que je ressent en ce moment. Je rassure toujours ma famille, ma maman, les gens que j’aime beaucoup. Je leur envois beaucoup de promesses.
Pierre :
Ce qui me touche encore plus c’est que si vous prenez un anglo-saxon qui vient vivre en France, ou un exilé quel qu’il soit qui se met à chanter sur ce sujet, il n’arrive pas à nous émouvoir autant que vous ?
Souad Massi :
Bien sur mais cela dépend je pense du lien qui le rattache aux siens, cela dépend dans quelles circonstances il a quitté son pays.
Pierre :
« Ilham » traite de l’inspiration, le fait de chanter semble guérir vos plaies et vos bosses ?
Souad Massi :
Je dirais que chanter soulage, cela me fait du bien, c’est une sorte de thérapie personnelle, toutes ces choses que l’on refoule, que l’on n’arrive pas à dire simplement, par le biais de la musique peut s’exprimer plus facilement. Certains le feront aussi par le dessin, d’autres le théâtre.
Pierre :
Votre musique est toujours très enjouée, si nous n’avions pas la traduction de vos paroles dans le livret on ne penserait pas forcément que vos textes soient si tristes ?
Souad Massi :
C’est connu dans la musique africaine. Il y a beaucoup de chansons où le texte est très engagé ou triste et la musique est paradoxalement enjouée et radieuse.»
Pierre :
Votre « African Blues » me rappelle « le blues américain » ?
Souad Massi :
Tout à fait ! c’est parfois très rythmé, on accélère même ce rythme mais il n’en reste pas moins une tristesse de propos. Sa femme le quitte, il sombre dans l’alcool, etc… mais mon travail pourrait aussi se rapprocher du fado.
Pierre :
Est ce que cette aspiration au « mieux » est votre philosophie dans la vie courante aussi ?
Souad Massi :
En ce moment je n’ai pas d’aspiration ! je n’ai pas le temps d’en avoir (rire) là je ne pense qu’à mes concerts, je suis beaucoup partie jouer à l’étranger, je ne suis rentrée en France que pour les victoires de la musique. Je pense aussi beaucoup à mon bébé, vous savez quand vous venez d’avoir un bébé vous n’avez plus le temps de ne rien faire ni de penser.(rire)
Pierre :
La naissance de votre fille justement vous a t’elle donné de l’espoir supplémentaire ?
Souad Massi :
Surtout beaucoup de courage. Je ne pensais pas que cela boostait la vie de cette manière. Toutes ces choses que j’avais la flemme de faire maintenant je peux y arriver grâce à elle.
Pierre :
Vous évoquez un ancien amant qui vous tourne le dos dans «Denya Wezmen », avez vous beaucoup pleuré par amour ?
Souad Massi :
Hum… oui mais j’ai beaucoup plus souffert de l’amour platonique. C’est très spécial.
Pierre :
Est ce que le fait de devenir chanteuse vous a fait perdre certains hommes ?
Souad Massi :
C’est impossible de se mettre avec quelqu’un de possessif ou qui n’a pas confiance quand on est artiste. C’est beaucoup trop dur. Tout ce que je sais c’est que je n’ai perdu aucun homme dans ma vie.
Pierre :
Vous faites 3 duos sur ce disque, le partage est une chose importante pour vous ?
Souad Massi :
Oui notamment un titre avec Pascal Danae mon guitariste et un autre avec David Touré car j’ai craqué pour sa chanson « Miwawa » que je reprend en modifiant le refrain.
Pierre :
C’est Jean Lamoot (Bashung, Noir-Désir) qui vient vous épauler dans la réalisation du disque pourquoi ce choix ?
Souad Massi :
Nous avons co-réalisé l’album, j’aime son travail. J’ai adoré ce qu’il a fait pour ceux que vous nommez mais aussi sur l’album de Salif Keïta ou des Têtes Raides. C’est une personne qui capte de l’énergie et qui ne la perd pas dans des machines
Pierre :
Connaissez vous le travail de Marianne Satrapi et sa Bande Dessiné « Persepolis » qui parle de son enfance en Iran et de son adolescence en Europe, avez vous eu comme elle la chance d’avoir des parents ouverts qui vous ont laissé faire ce que vous vouliez ou avez vous du livrer un combat pour devenir artiste ?
Souad Massi :
Même si ce n’est pas que par rapport à mes parents, dans une société arabe ou africaine il faut toujours se battre. Nous vivons dans des sociétés où ce n’est pas facile pour une femme de se faire respecter. Par rapport à ma famille, ils avaient vraiment peur pour moi. Ils ne voulaient pas que je fasse de la musique. Bizarrement mon père était plus ouvert que ma maman. Il a bien accepté le fait que je chante alors que ma mère trouvait ça inconvenable de devenir artiste, elle voulait que je sois avocate, médecin ou institutrice.
Pierre :
Si pour conclure je vous dis que vous êtes plus importante à mon cœur pour la tolérance et l’amour des autres cultures qu’un petit pont de Zinédine Zidane, vous acceptez le « compliment » ?
Souad Massi :
Mais moi je l’adore. J’adore ce personnage. Je trouve que lui, par son jeu, par la beauté de son jeu… ho vous me parlez de foot et j’adore ça ! grâce à son jeu il arrive à donner de la tolérance. Il est d’origine algérienne mais français ! il fait changer les mentalités.
Pierre :
J’ai tout de même le droit de vous préférer à lui ?
Souad Massi :
Ho oui ! mais ce serait moi je le mettrais lui ! (rire)