Interview

Le Comte de Fourques - Interview - Pierre Derensy


Le comte de Fourques est un roturier qui se donne des airs de noble par un nom de scène. Mais sa noblesse se retrouve surtout partagée dans 13 chansons parfois douces, parfois amères, toujours très bien composées et d’une justesse dans les propos qui ferait demander au plus grand républicain si ce n’était pas mieux sous la royauté. Avec un certain humour de pince sans rire, son compte est bon pour refléter dans un palais des glaces imaginaire les histoires de gens quelconques ayant des destins ordinaires. De ceux qui deviennent les héros du quartier. Et toujours avec un talent inné. Tout un parcours de récit chevaleresque avec le « Tu » en prime, qui me fait penser que Stéphane Bern et moi c’est du pareil au même pour évoquer un parcours initiatique des plus intéressant.

Pierre :
C’est en intégrant ton école de musique que tu as pris conscience d’être un musicien ?
Le Comte de Fourques :
Non pas du tout. L’école de musique est venue sur le tard après des années de caf’conc derrière avec mon groupe local à Perpignan, mais c’était un pur rêve d’autodidacte. Je voulais élargir l’aspect technique de l’instrument. Toucher à d’autres musiques. Ma première année sur Paris était destinée à faire cette école mais aussi à distribuer mon auto-prod dans les maisons de disques.
Pierre :
Finalement plutôt qu’une première partie de Cali : c’est 16 concerts avec lui que tu donnes ?
Le Comte de Fourques :
Avec Bruno on se connaît depuis longtemps. Il y a eu un truc concomitant. Un déclencheur. Au moment où lui enregistre son premier album moi je démarre mon auto-production. J’ai un vieux réflexe, je me dis « Perpignan c’est quand même le trou du cul du monde » et mon pote Cali qui a du talent avance et réussi dans notre passion commune. Alors pourquoi pas moi. Bref les mois passent, je fais mon école, lui commence à avoir du succès et fait ses premières dates. Forcément il me demande de faire une de ses premières parties sur la capitale. La première année, j’en ai fait 3 et à la rentrée d’après, il m’a demandé de faire 10 dates suivies. Comme j’étais en formation légère : seul avec ma guitare j’étais assez facile à transporter.
Pierre :
C’est avant tout ton premier concert avec lui que tu as trouvé ton nom de scène ?
Le Comte de Fourques :
C’était une connerie sortie avec mes potes qui restait entre nous et quand je suis arrivé sur la capitale, il me fallait trouver un nom pour mes concerts solo. Mais j’étais emmerdé car 2 heures avant cette première partie, je n’avais pas de nom. Donc j’ai pris ce titre. Ce qui est marrant, c’est que je ne savais pas quoi faire avec ce nom. Quand j’ai signé chez V2 je ne savais même pas si j’allais garder cette dénomination. Et finalement en posant la question à la maison de disques, ils m’ont rassuré en me disant de ne rien changer, que c’était génial ce patronyme. J’avais besoin d’être rassuré sur ce point car cela pouvait évoquer plein de choses. Musicalement je savais ce que je voulais faire mais quant à savoir si le nom collait avec la musique...
Pierre :
Comme le disait Proust c’est dans l’optique des gradins sociaux que tu es devenu comte, y avait t’il une branche de la famille qui était déjà artiste ?
Le Comte de Fourques :
Aucune ! enfin il y avait quelques musiciens. Mon arrière grand-père était chef d’orchestre de la fanfare d’Alès. Qui a sillonné toute la France en son temps et qui a eu d’ailleurs quelques enfants illégitimes (rire). Ma mère chantait dans les bals mais après rien de plus que ça. Maintenant, ils sont tous très fiers. Je suis vraiment issu des classes moyennes. Inconsciemment j’ai choisi ce nom là pour me positionner hors toute classe sociale. Cela permet de prendre du recul. Derrière ce nom, sans jouer un coté théâtrale sur scène, tu peux jouer avec l’ironie, te placer en marge de pas mal de trucs. Ce qui correspond bien à ce que j’essaye de faire dans mes chansons. Au final, on est pas maître de son destin mais le hasard fait bien les choses.
Pierre :
Si j’en crois les « on dit » le Comte de Fourques serait un artiste romantique et fauché comme un gueux, qu’est ce qui est le plus dur quand on arrive à Paris : d’être artiste, romantique ou fauché ?
Le Comte de Fourques :
Il y a des choses qui sont plus difficiles à vivre que d’autres. Romantique ce n’est pas facile tous les jours mais j’assume, fauché j’aimerais bien que ça change (rire). Pour moi la musique, c’est un peu un parcours de vie, oui j’ai eu des bonnes années et des années plus dures. J’ai connu la dèche. Les huissiers ont bien failli venir, les salauds !Ce qui s’est passé, c’est que j’ai eu une période dure sur Paris. J’avais avancé. Je faisais des dates mais je me demandais si je restais sur Paris ou est ce que je devais faire des aller-retours en regardant ça depuis Perpignan. J’ai choisi de rester mais juste avant de signer chez V2, c’était super hard. J’ai du mettre mes guitares au mont de piété.
Pierre :
Continuer uniquement à bourlinguer sur la scène locale pour toi, ce n’était pas envisageable ?
Le Comte de Fourques :
En terme de faire des concerts oui, mais j’étais parti dans une logique de progresser : c’est à dire aller vers une maison de disque, m’entourer, ne plus être seul. Aller vers la création d’un album, avoir les partenaires pour le faire et le faire vivre après. Ce qui était une autre logique de travail. Faire des concerts n’était plus une fin en soi. Je l’avais fait, c’était bien mais à un moment je m’étais mis sur d’autres rails. Ce qui est drôle c’est que mon premier rendez-vous chez V2 c’était le dernier de tous ceux que j’avais calé pour proposer mes maquettes. Le lendemain, je rentrais sur Perpignan et je ne savais pas quand j’allais remonter et surtout pourquoi j’allais remonter. En ressortant de leurs bureaux j’ai su que j’allais revenir sur Paris pour de bonnes raisons.
Pierre :
Je t’ai connu par ton EP de 5 titres et je m’aperçois qu’aucune de ces chansons ne figure sur l’album ?
Le Comte de Fourques :
En fait j’avais plein de chansons donc cela me donnait le choix. Par contre il n’est pas impossible que plus tard, éventuellement pour un album futur je reprenne ces titres. Par contre ce sont des morceaux que je joue sur scène. Tu sais pour l’album je me suis enfermé pour composer. De toute manière je n’avais plus que ça à faire (rire). Les 2/3 de l’album, je les ai écrits en janvier 2005. Ce sont ces maquettes qui m’ont permis de démarcher les maisons de disques. Les artistes qui sortent un premier album, ce sont quasiment leurs 10 années de boulot, intellectuellement pour moi oui mais artistiquement, c’est un album de vraies nouvelles chansons, faites en 1 mois. J’ai tendance à faire les choses à l’envers : sur scène par contre je joue de mes anciens titres alors que les autres artistes essayent leurs nouveaux morceaux face au public..
Pierre :
En studio : cela s’est vraiment bien passé comme tu le prétends, mais ne désires tu pas maintenant rectifier le tir pour faire comme les autres et dire qu’il n’y a que dans la souffrance que l’on peut créer ?
Le Comte de Fourques :
Vraiment pas du tout. On a bossé avec mon directeur artistique. Au début nous ne voulions même pas prendre un réalisateur, juste un bon ingé son… on allait faire une sorte de triumvirat entre l’ingé son, l’artiste et le DA. Et l’arrivée de Mitch Oliver est venue du fait que certains morceaux que j’avais enregistrés mais pas mis sur l’EP : je voulais les refaire, voir les utiliser. Seulement ces morceaux, je les connaissais par cœur. Impossible d’avoir des idées fraîches. Donc le DA a réfléchi à un réalisateur. Un jour il m’a présenté Mitch, on a ouvert une bouteille de chablis et on a parlé musique. Ce garçon a bien compris que j’avais une vision bien précise des arrangements que je voulais faire. Il m’a donc proposé des compositions de structures dans les chansons. Arriver à faire vivre d’une manière plus fluide les couplets face aux refrains, mettre une ambiance dans les chansons. Toujours en utilisant la matière que je lui apportais. En plus, lui, c’est un vrai sorcier du son, un énorme malade. Il travaille à l’ancienne tout en analogique, à la main. C’est hyper-vivant. Toutes les prises rythmiques sont lives. On jouait tous ensemble : basse-guitare-batterie-chant. La version du « Bonheur est Nocturne » c’est la quatorzième prise par exemple. J’étais preneur de ce qu’il me disait. A l’écoute.
Pierre :
L’album a été enregistré pendant l’été 2006 et ne sort que maintenant, tu as encore retouché les chansons pendant cette période ?
Le Comte de Fourques :
Il a été enregistré en Avril 2006 et mixé en Mai. J’avais confiance. C’est un travail qui s’est construit petit à petit. Après, il me tardait juste que l’album sorte. Maintenant je suis fier comme un gamin au pied d’un sapin de Noël.
Pierre :
C’est quoi une bonne chanson pour toi ?
Le Comte de Fourques :
Je suis super intuitif donc je te dirais qu’une bonne chanson c’est celle qui me met le poil à la verticale. Si j’ai le frisson, c’est que c’est bon. Que ce soit pour la musique que j’écoute ou que je fais. Il n’y a que l’émotion qui me guide. Quand je suis au travail, s’il n’y a pas un moment où je vibre, c’est que je sais être passé à coté de mon affaire.
Pierre :
La littérature compte beaucoup pour toi ?
Le Comte de Fourques :
C’est à dire que je n’écoute pas beaucoup de chansons françaises ou alors cela n’a rien à voir avec ce que je fais. Je suis fan de Dominique A et Jean-Louis Murat mais je ne peux pas te dire que je suis influencé par eux car nous faisons des chansons totalement différentes. Je les écoute pour le plaisir. Par contre la littérature m’a beaucoup influencé dans ma manière d’écrire. J’ai découvert des choses. Bukowsky, ça été le style, il m’a décoincé. Je pouvais faire des chansons sans faire des vers. Buk m’a expliqué que l’on pouvait essayer d’avoir du style sans chercher à en avoir. Henri Miller, c’était le vocabulaire, c’était mon dictionnaire. Et Kerouac ma poésie. Ecrire des choses qui ne parlent pas au sens premier mais qui parlent directement à l’âme. Tout ça, c’est mélangé. Il y a une envie de faire passer des choses d’une certaine manière. Il y a des mots que j’aime chanter et qui sont des expressions de la vie de tous les jours. Ce n’est pas calculé, mais une chanson c’est une idée qui doit parler au plus grand nombre dans le bon sens du terme. J’ai une bonne vision des choses populaires. C’est moi, c’est nous, c’est ce que nous sommes tous.
Pierre :
Tu as déclaré qu'on est doué en France pour faire des bons vins et les anglais pour faire de la bonne musique : simple, évidente et spontanée, jamais intellectualisée ?
Le Comte de Fourques :
Ce que je veux dire par là c’est qu’il ne faut pas essayer de singer. De copier. On connaît ce qu’on est capable de faire. Je suis influencé par des trucs mais je n’ai pas la prétention d’être plus rocker que Joe Strummer. Quand j’ai passé 3 semaines en Angleterre, j’ai eu le temps de réfléchir sur le style anglais : on voit leurs gueules en pensant que c’est calculé mais non ils sont comme ça, dans leur vie de tous les jours. C’est l’analyse que je me suis faite. Si tu dois être comme eux : soit juste toi même. L’erreur qu’on commet pour ne citer personne actuellement, c’est qu’on pense qu’il suffit de se mettre des pantalons en cigarette, des boots et des vestes en cuir. C’est leur mode. Le seul truc qu’on peut copier c’est leur capacité à être super naturel. Quand ils font de la musique sur scène, c’est juste naturel. Ils font ça pour la fête. Moi j’ai envie qu’en concert les gens remuent la tête. Si en plus, tu as les moyens de balancer un texte pas trop convenu : c’est gagné. Au final : il faut juste que les gens s’éclatent. Je viens de ça : du partage, de l’échange avec les gens. C’est une sorte de match de boxe..
Pierre :
Pour moi, Le comte est plus proche de Joe Strummer et des Mescaleros plutôt que des Clash qui est ta référence ?
Le Comte de Fourques :
C’est toujours Clash mon préféré. Ce coté 100 % énergique. Mais j’aime surtout sa générosité. Il était très admiratif des musiciens avec qui il jouait. Un mec hyper simple dans un naturel total. Je crois que c’est cette générosité qui m’a donné envie de prendre une guitare. Je pensais à la chanson de Brassens : « le Petit Cheval Blanc » : tous derrière et lui devant. Il y avait un coté héros chez lui mais héros qui ne le sait pas. Dans ses textes, il était très politisé mais il dégageait une image très romantique.
Pierre :
Donne moi quelques bonnes raisons de préférer un de tes concerts à ceux de Polnareff ?
Le Comte de Fourques :
Ho putain la question piège ! Je devrais essayer de trouver un truc salaud à dire sur lui mais en même temps, c’est un mec super fort dans son genre, super musicien, super compositeur, roi du marketing, champion de l’image. Alors je te dirais juste que c’est un choix de 2 spectacles totalement différents. De son coté c’est grande messe et de mon coté : club.
Pierre :
Comte de Fourques c’est aussi dominer les castes de la chanson française inférieure, surtout quand on sait qu’en France le roi c’est Johnny Halliday ?
Le Comte de Fourques :
On ne rêve que d’une chose c’est de lui piquer sa place. On pourrait monter une fronde ? Comme il s’est barré avec la caisse, il a abandonné le château : c’est peut être le moment où jamais.