Interview

Katel - Interview - Pierre Derensy


Si toutes les nuits pouvaient se passer avec le disque de Katel, il y aurait des aubes souriantes, des matins grisants, des touches « Repeat » qui s’enfonceraient éternellement. Jambes écartées trônant sur le perchoir du rock, Katel par réflexe d’autodéfense nous protége de la pluie. Ses ailes déployées dont l’envergure pourrait recouvrir une cité ne perdent aucune plume au contact de l’acide. « Raides à la Ville » n’est pas qu’un album de plus, un disque escamoté qui prendrait le train d’une bourgade de province sans bien connaître le trajet. C’est une bombe anatomique qui écrase, au contact du sol redevenu fertile, des millions de SOS diffusant un parfum acerbe qui donne de l’espoir à la chanson française et ça : c’est depuis qu’elle est là.

Pierre :
Yann Tiersen que j’ai rencontré la semaine dernière, m’a demandé de vous transmettre une question : « Comment se porte la société de Bienfaisance ? » ?
Katel :
(rire) C’est une private joke évidemment. C’est une société que nous avons montée tous les deux, en plein milieu du Finistère, pour sauver les gens de l’alcoolisme - constatant les fléaux de l’alcool pendant la tournée, évidemment nous avons monté cette société en étant nous mêmes dans le même état qu’eux.
Pierre :
Bon courage car je pense que ce ne sera pas facile ?
Katel :
(rire) Devant l’ampleur de la tâche on s’est rendu compte qu’il fallait abandonner et déposer le bilan avant de commencer.
Pierre :
L’oiseau planant au dessus de la ville et dans le livret de votre album est il un oiseau de bonne ou de mauvaise augure ?
Katel :
Pour moi ce sera toujours quelque chose de bienveillant. C’est un oiseau qui observe et regarde avec un œil acéré… Même si, après les constatations qu’on fait quand on a ce regard aiguisé, sont parfois difficiles à entendre, c’est déjà bien de pouvoir les faire.
Pierre :
Je ne vous connais pas beaucoup alors pouvez vous vous présenter ?
Katel :
C’est toujours un truc assez difficile… Je suis quelqu’un qui d’abord écrit avant de faire de la musique. C’est d’ailleurs la première chose que j’ai faite dans ma vie écrire, écrire et écrire encore. Je suis venue à la musique par un désir de faire passer l’écriture dans mon corps. C’est une activité difficile d’écrire, solitaire. Je me sentais assez isolée par rapport aux autres, et grâce à la musique je me suis crée un pont entre le psychique et le physique. Presque à la trentaine j’ai pu faire ce lien entre mon travail d’écriture et mon travail musical dans d’autres groupes, quand j’étais juste interprète. Il m’a fallu en fait une certaine maturité pour concilier et oser mettre en musique mon univers.
Pierre :
Cela change quoi de se retrouver avec un projet solo et perso ?
Katel :
Ca change tout et en même temps c’est plus facile car vous ne devez plus partager la parole avec les autres membres du groupe, on évite ainsi les points de désaccords. Là je mène mon projet et je peux en parler de manière totalement libre vu qu’il vient et n’engage que moi.
Pierre :
Votre album, au niveau des paroles est d’une incroyable fermeté voir férocité ?
Katel :
De mon coté je ne le vois pas comme un album dur, vu que je vis dedans tout le temps et que je suis quelqu’un de plutôt joyeux et heureux dans la vie mais pour moi l’écriture est un travail de transformation. Ce sont surtout des choses qui vont m’interpeller. Personnellement je prends un vrai plaisir dans cette métamorphose, même si les sujets paraissent noires, en tout cas elles sont transcendées par l’énergie et le chant. Que ce soit pour la colère ou la violence : le dynamisme qui se dégage de ces thèmes donne toujours quelque chose de positif. Les groupes dits « durs » me rendent plutôt joyeuse d’ailleurs (rire).
Pierre :
Si l’on m’avait dit que Katel était un nom de scène porté par un homme je n’aurais pas été choqué ?
Katel :
Mes thèmes, ma musique sont des choses que l’on attribut traditionnellement aux hommes. Après, quand on regarde PJ Harvey ou Cat Power, elles ont ces aspects dits « masculins » dans leurs albums. Tout ce qu’on pose comme attribut féminin relève d’une tradition, voir d’un cliché. Les frontières depuis un certain temps sont plus ouvertes, quand on entend quelqu’un comme Jeff Buckley ou même Radiohead on peut les inclure dans une sensibilité féminine. Finalement ce qui compte, c’est réussir à faire parler tout ce que l’on est pleinement. Quand vous devenez artiste, vous devez vous élever au dessus de vos attributs d’être humain : ne plus être homme ou femme, blanc ou noir, etc.
Pierre :
Vous avez raison, mais à mon sens vous raisonnez plus comme une anglo-saxonne que comme une française ?
Katel :
En France, on commence tout juste à réfléchir en ce qui concerne la production et le son. Par exemple quand on parle de Noir Désir c’est un groupe que j’aime beaucoup sur plein d’aspects notamment sur le chant et la rage de Bertrand Cantat, mais c’est un groupe que j’ai peu écouté quand j’étais plus jeune parce que j’étais frustrée, car pour moi il n’y avait pas de prod, il n’y avait pas de sons. En France il n’y avait pas cette ampleur que j’entendais quand j’écoutais des groupes anglo-saxons. C’est quelque chose qui a manqué aux français pendant très longtemps.
Pierre :
Comment avez vous enregistré votre disque ?
Katel :
Cet album a été enregistré finalement sur un matériel assez petit. Une sorte de home-studio avec des bons micros mais de manière artisanale. Je sais que j’aime bien faire des aller-retours entre le travail d’enregistrement et le travail sur scène. Les 2 se nourrissent l’un l’autre.
Pierre :
Vous aviez besoin du public pour tester vos titres ?
Katel :
J’ai toujours fait les deux de front : studio et scène, quand on fait évoluer la version d’une chanson sur scène, cela se ressent sur le travail du disque mais l’inverse est vrai aussi. Des choses que j’ai pu faire dans la recherche des arrangements en studio m’ont influencé sur ma manière de chanter sur scène. Le studio est l’activité la plus proche du travail d’écriture. C’est le moment où l’on est seul, où l’on peut raturer, revenir. Sur la scène : on y va au corps, c’est un truc de lutteur. Un temps où il faut tout donner, avec aucun moyen de se protéger. C’est une autre sensation très forte. Ce serait un gouffre de toujours tout donner dans l’instant et ce ne serait pas mieux d’être continuellement en studio pour modifier éternellement.
Pierre :
Tout au long de votre album il y a une multitude d’animaux ?
Katel :
C’est une manie que j’ai presque constatée à la fin (rire). J’en ai fait un atout pour le livret d’ailleurs. Je voulais faire une espèce de bestiaire fantastique. Je suis très sensible aux contes fantastiques, j’aime cette écriture qui n’est pas reliée au quotidien. Je ne sais pas pourquoi, peut être car j’adore les fables de La Fontaine. J’aime l’esprit des écrivains du XVIIème siècle qui pour contourner le pouvoir en place, utilisaient des écrits presque naïfs et à travers ça offrir un langage très subversif. Le seul moyen d’avoir une vraie démarche politique c’est d’avoir un langage singulier et de s’extraire justement du langage commun et du prêt à penser. Pour moi l’écriture est un instrument de musique.
Pierre :
Vous griffonnez d’autres choses que des chansons ?
Katel :
J’écris un peu de poésie en prose. C’est vraiment un autre travail. Le travail d’écriture de chanson a ceci de particulier qu’il ne peut être terminé que lorsqu’il est chanté. Il prend tout son sens avec la mélodie. C’est vraiment autre chose qu’une écriture qui se passe de musique, d’ailleurs des poètes qui essayent d’écrire des chansons se retrouvent souvent confrontés à une démarche difficile, voir impossible.
Pierre :
Votre voix a une grosse qualité c’est qu’elle passe, sans que vous hurliez pour autant au dessus des instruments ce qui est plutôt rare dans le rock ?
Katel :
C’est vraiment quelque chose que j’ai travaillé. Je crois qu’il y a beaucoup de chanteurs de rock qui ont pensé, alors qu’ils avaient quelque chose à dire, qu’il suffisait de crier fort pour passer au dessus des instruments. Hors pour moi, le chant est certainement l’instrument le plus difficile, c’est une mécanique intérieure donc c’est quelque chose qu’on a plus de mal à maîtriser qu’une guitare. J’ai pris des cours de chant et j’ai appris énormément de choses : par exemple régler ses harmoniques pour passer au dessus des cymbales sans s’arracher la voix ou se faire du mal. Autant je n’ai jamais travaillé la guitare car je la tiens à l’envers et que du coup je n’ai pas de prof de guitare qui pouvaient m’expliquer quoi que ce soit, autant le chant c’est quelque chose de passionnant. C’est une connaissance géographique du corps.
Pierre :
L’album est concentré sur 26 minutes c’était un choix ?
Katel :
Les chansons étaient très contractées dans l’écriture. Quand on n’a pas signé sur un label et que l’on ne sait pas si les chansons seront sur un album, on a tendance à mettre tout son univers dans chaque chanson, où chacun des titres pourrait contenir un album (rire), où l’on pourrait englober tout ce que l’on veut mettre dans la musique en général. Je ne voulais pas faire ni un vrai EP de quatre titres, ni un 12 titres car les chansons n’ont pas été pensées à la base sous forme d’un album. Cela devient un album car j’ai extrait de mon répertoire les 8 chansons qui allaient ensemble. Ces 8 là étaient cohérentes et enregistrées comme je le voulais : c’est à dire de manière fulgurante pour rajouter dans la densité. J’aurais pu faire le contre-pied c’est à dire élaguer, faire durer le plaisir, mais je voulais faire un objet un peu halluciné, une sorte de cri.
Pierre :
26 minutes sur scène cela ne fait pas beaucoup ?
Katel :
Sur scène je joue entre 14 et 17 titres. Des titres plus anciens, plus récents que l’album aussi.
Pierre :
L’arrivée de Yann Tiersen sur votre univers musical, cela vous a beaucoup aidé ?
Katel :
C’était une rencontre sur un titre principalement. Je pense que nous avons des univers très différents. A partir du moment où il a posé son violon sur la partition de cette chanson qui est l’une des plus anciennes de mon 8 titres, cela lui a redonné un nouveau souffle.
Pierre :
Vous avez chanté « La Rade » sur son album et lui est venu poser son violon sur « La Vieille » dans votre album ?
Katel :
Yann a eu l’opportunité de faire la Black-Session de Lenoir sur France Inter et le principe c’était de faire une chanson de lui avec un invité et une chanson de l’invité avec lui. Donc voilà comment l’on s’est retrouvé à faire ces deux titres là.
Pierre :
Si Katel devait être réduite à une et une seule chanson, ce serait laquelle ?
Katel :
Je pense que ce serait « Raides à la Ville ». Parce que c’est une chanson que j’ai l’impression de redécouvrir à chaque fois que je la chante, comme si ce n’était pas moi qui l’avait écrite (rire). Elle réussi à m’emmener à chaque fois, c’est le texte que je préfère et dans son débit, cette façon de ne jamais s’arrêter. Ce rouleau compresseur qui avance me donne une sensation de sortir de moi même et d’être absolument dans la musique.