Interview

Patrick Eudeline - Interview - Pierre Derensy


Patrick Eudeline avec son phrasé syncopé, sa musique noire et ce personnage (mi-joué, mi rêvé) s’est naturellement imposé comme l’un des plus brillants artistes de notre époque. L’écrivain de génie (« Dansons Sous les Bombes », «Ce Siècle Aura ta Peau ») a fait place pour un temps au musicien théoricien et jouissif. En effet sort le 17 mars un remarquable album « Mauvaise Etoile » qui mérite l’extrême-onction. Dieu n’est jamais loin de ce garçon car il en est son meilleur prophète. Il vous est facile de partager l’ivresse de sa musique notamment en concert le 06 avril au Triptyque.

Pierre :
Est ce que cette mauvaise étoile ne fut pas ton meilleur atout pour vivre encore maintenant ?
Patrick Eudeline :
C’est possible ! c’est possible quand tu vois tous ces groupes des sixties qui ont fait plein de disques et qui à un moment n’ont plus d’inspiration. Ma biographie particulière avec ce trou dans les années 80, après la fin de mon groupe Asphalte Jungle lorsque je n’ai pas poursuivi sur cette voix, a du m’aider d’une certaine manière. J’ai longtemps cru être talonné par la malchance. Je m’intéressais beaucoup à l’occultisme alors tout ça se mélangeait. C’est un truc de magie élémentaire, le noir rejoint le blanc, ma mauvaise étoile est finalement peut être le moyen de toucher la bonne étoile.
Pierre :
Tu disais un jour qu’écrire sur la musique c’était bien mais qu’à un moment ou un autre il fallait aller se frotter à la création ?
Patrick Eudeline :
C’est une expérience que je tenais à partager de l’intérieur. Dès le début, quand j’ai commencé à écrire, je le vivais intensément, que je voyais ça comme une expérience à partager. Maintenant je le pense en musicologue : c’est à dire faire attention, connaître mon affaire et quand j’en parle connaître de quoi je parle. Je n’aime pas le mot journaliste quand ça touche au rock, à la musique. Un journaliste ne peut pas parler de rock. C’est quelque chose qui peut se vivre de l’intérieur.
Pierre :
Quelle est la différence entre le chanteur, l’écrivain, le portraitiste que tu es ?
Patrick Eudeline :
Je ne mets pas tellement de barrière entre un roman, un papier ou une chanson. La forme la plus exigeante c’est la chanson ! c’est une forme très ramassée, tu as des obligations techniques par rapport au rythme, à la rime. J’ai l’impression de faire la même chose, c’est la forme qui change mais c’est toujours de l’écriture, c’est toujours moi qui parle. Tu vois bien je n’écris plus sur le rock que dans Rock & Folk, et encore des portraits, en général c’est des choses à la première personne, sur des gens que j’ai connu personnellement et des histoires vécues que j’ai envie de faire partager. J’espère avoir un rôle de passeur.
Pierre :
Quand je vois que tu fais le dossier de presse de Steve Estatoff j’ai un peu l’impression que tu ne passes pas grand chose ?
Patrick Eudeline :
Je me justifie. En 30 ans tu peux pas avoir un contrôle sur tout mais Steve est venu ici, chez moi, il a pris une guitare, il a joué dignement du Dylan, on s’était rencontré sur une émission de télé et le type humainement il est vrai. Il a choisi de faire la pop-star parce qu’il en avait marre de galérer depuis 15 ans. De quel droit on critiquerait ce moyen d’y arriver. Le disque, il est vrai je ne le trouve pas très bon, quand on m’a demandé de tracer un portrait de lui je savais bien qu’on m’utiliserait comme caution. Quand il reprenait des chansons du répertoire, comme « Le Sud » de Nino Ferrer et qu’il le nirvanisait un peu comme Syd Vicious reprenait « My Way », je trouve que c’est bien. Je me doutais bien que ce serait mal interprété…
Pierre :
Tu as conscience de la marque de fabrique Eudeline et que ce sceau peut être exploité ?
Patrick Eudeline :
Bien sur que je le sais. Je me retrouve souvent dans des cas de conscience mais je suis comme tout le monde : j’ai un loyer à payer, j’ai des frais. Je ne suis pas rentier, je n’ai pas une famille pleine aux as, j’ai donc besoin de travailler pour vivre. Des fois je refuse des choses alors que je travaillerais dans une pizzeria je n’aurais pas à me poser le problème. Je ne peux pas le faire non plus sous un pseudo. Ils veulent que je signe. Tu vois des fois je me dis qu’il faudrait que je refuse tout en sachant que cela pourrait me sortir d’un mauvais pas. Pour l’instant j’ai réussi à peu près à garder une certaine éthique. Mon écriture je n’ai que ça, c’est ma survie.
Pierre :
Cette souffrance qui se dégage de ton disque elle vient d’où ?
Patrick Eudeline :
Y a de l’humour noir dans ce disque, quand je dis «Je ne sais pas si j’en ai encore pour très longtemps » je ne sais pas à quel degré je l’ai écrit. Je ne sais pas si le blues, si mon écriture est une catharsis… C’est ce qui me retient à la vie, sinon je serais défoncé dès le matin. J’avais une discussion avec Daniel Darc. On nous faisait la moral qu’il ne fallait pas boire ou se défoncer mais quand je suis à jeun je suis trop triste ! J’ai trop de douleur en moi. Tu sais que c’est le prix à payer.
Pierre :
Ce qui ressort de tes paroles c’est une grande solitude, la solitude de te dire que dans les années 70 tu pouvais encore te démerder pour détruire le système alors que maintenant tu es obligé de l’accompagner ?
Patrick Eudeline :
Bien sur que c’est beaucoup plus compliqué. Le rôle de la musique n’est pas le même. Je vais pas te faire le plan que tu mets tout dans un disque et qu’après tu le jettes au loup mais c’est un peu vrai, autant pour les romans je faisais ce qu’il y avait à faire avec les attachés de presse mais avec une vision de loin alors que là je le vois malgré moi de beaucoup plus près. Je suis au courant des magouilles, de ceux qui sont derrière mon dos et c’est vrai que c’est stressant mais je suis content du résultat. J’avais fais un disque avec Myriam dont j’aimais les chansons mais il était hermétique , la production était pas terrible. Les grands que je respecte vraiment ont toujours su faire des chansons qui parlaient à tout le monde. Le type de ma maison de disque m’a dit : toi au fond ce que tu veux faire ce sont des grandes chansons populaires. Et c’est la réalité. J’ai passé ma vie à essayer de comprendre comment les chansons que j’aime par dessus tout sont faites.
Pierre :
Il y a aussi cette figure christique qui tourne autour de ton disque ?
Patrick Eudeline :
Je me rappelle d’un papier sur Vince Taylor, alors que j’avais 13-14 ans et en 3 phrases ce truc m’avait frappé comme aucune chose avant. J’ai toujours su que, lorsque tu es sur scène, dans la mise en scène du rock, le mec devait s’en prendre dans la gueule pour les autres. En même temps tu as plein d’avantage. Je sais qu’il y a un prix à payer.
Pierre :
On dirait presque que tu cours après quelque chose qui n’existe pas ?
Patrick Eudeline :
Possible mais qu’est ce que tu veux que je fasse d’autre ? Je crois que c’est le cas de tout le monde qui est un peu sensible. Des philosophes de l’absurde ont expliqué ça mieux que moi.
Pierre :
Peux tu me parler de Montévidéo ?
Patrick Eudeline :
Je n’y suis pas allé, c’est une clinique de désyntox bien connu. On peut la lire à plusieurs niveaux cette chanson. Presque comme un truc d’humour ou comme un truc vrai. Le discours politiquement correct sur les drogues je le trouve complètement ridicule. En 2 mots : les drogues c’est quelque chose de très difficile à maîtriser. Tu peux en être victime mais comme de l’anorexie ou le sexe. Les drogues c’est pareil. Ca ne sert à rien de parler du tabac comme d’un fléau si tu oublies le reste. J’ai vécu l’interdiction du speed, c’est un mystère pour personne que Sartre, Flaubert ont écrit leurs plus belles pages sous narcotique. Moi c’est quelque chose que j’ai pris très longtemps, lorsque ça c’est arrêté j’ai eu du mal à retrouver mes esprits. Quand tu vois ce film ridicule sur Johnny Cash où tu as l’image qu’il prend des drogues et qu’il ne fait rien : c’est faux ! les grands jazzmen utilisaient ce moteur pour leur créativité. Ce qui n’empêche pas que c’est dangereux. Evidement que je ne dirais jamais aux jeunes d’en prendre, pourtant ils m’en parlent souvent, ça fait partie de la mythologie du rock n’roll. Je souhaite leur dire la vérité par rapport à ça. Je ne fais pas du prosélytisme, quand tu as un minimum de pouvoir sur les gens en racontant des histoires c’est la moindre des choses de le faire bien et de poser 2 ou 3 questions sur le sujet. Montévidéo raconte mon expérience personnelle. C’est un mystère pour personne que Clapton n’a pas sortie un bon disque depuis qu’il est clean. D’accord l’époque a changée mais il était plus brillant junkie. C’est une constation de base. Quand je ne prend plus rien je suis clean, mais je prend une guitare et je n’arrive plus à rien, mes doigts ne suivent plus. Les narcotiques j’y suis allé. Je déteste aussi que certains artistes disent qu’ils sont encore dépendants alors qu’ils n’ont plus rien touché depuis 10 ans. Il faudrait qu’ils se flagellent publiquement devant les autres pour dire qu’ils sont encore des victimes. Je suis autant énervé par les narcotiques anonymes que par la lois Evin sur le tabac, sur cette prohibition…
Pierre :
Tu as d’ailleurs eu un problème à ce sujet sur ta pochette ?
Patrick Eudeline :
Oui elle a manquée d’être interdite, sur la première photo que l’on avait prise je fumais une cigarette et ce n’était pas de la provoque, comme tu peux voir je fume beaucoup. On risquait une amande tellement énorme que je ne voulais pas faire prendre ce risque à ma maison de disque. J’aurais pu profiter de ça pour faire monter la promo mais non. Là Virginie Despentes a fait un clip de « Mauvaise Etoile » qui risque d’être interdit parce que 2 filles s’embrassent. Là par contre si cela se confirme on va se marrer, il est hors de question qu’on se laisse faire. On se battra. Mais la cigarette c’est le ministère de la santé, c’est tellement une société perverse…
Pierre :
Tu sais bien en proposant ce disque qu’on va avoir la facilité de dire que tu as le phrasé de Hubert Félix Thiefaine en oubliant de parler de ton disque comme d’une vraie performance intègre et personnelle. N’aimerais tu pas vivre en Angleterre où il y a une autre sensibilité face à la musique ?
Patrick Eudeline :
C’est une difficulté supplémentaire de vivre en France. Comme la langue française qui est difficile mais indispensable. J’appartiens à ce pays. J’aime les Kinks parce qu’ils parlent de Londres, le Velvet parce qu’ils parlent de New-York. Là j’assume d’être français.
Pierre :
Tu as noté sur ta pochette « ce disque n’a aucune boucle musicale » ?
Patrick Eudeline :
Encore une petite part d’humour, c’était dire désolé les violons sur le disque ne sont pas piqués. Le principe de la boucle est anti-créatif.
Pierre :
Pour moi tu es une sorte de Don-Quichotte ?
Patrick Eudeline :
Le côté gladiateur me plait bien. Même sur scène : mon idéal de la scène c’est de jouer avec de très bon musiciens sinon je me prendrais la tête avec eux. Mais en même temps on répète juste pour connaître les morceaux pour qu’il reste le danger, en plus là par exemple je joue devant des audiences que l’on qualifierait de très rock n’roll, et je commence à la guitare acoustique pour les désarçonner, qu’ils se disent putain Eudeline est parti dans du folk.
Pierre :
Tu vas donner quelques concerts sur Paris, penses tu ensuite partir en tournée ?
Patrick Eudeline :
Ca ne dépend pas que de moi, le système est tel que je ne peux pas maîtriser ce point. Ce qui est sur c’est que j’ai un bon groupe derrière moi, on est vraiment ensemble et tout se passe bien donc j’ai bien envie de tourner et d’y aller. Maintenant le système c’est tellement refermé qu’il faut une logistique.
Pierre :
Penses tu que la difficulté que tu rencontres pour tourner serait due à ton image ?
Patrick Eudeline :
Je ne pense pas. Je pense que c’est tout simple : maintenant tous les gens qui ont des boites, des salles de concert ils ont besoin d’avoir un tourneur derrière l’artiste. Ce n’est même pas par peur… notre pays est tellement puritain et politiquement correct qu’il aime la rébellion et la marginalité quand elle ne fait pas de mal à une mouche.
Pierre :
Serais tu capable de faire des compromis ?
Patrick Eudeline :
Ca dépend de ce que tu appelles des compromis. Y a des choses que je ne ferais jamais. Ta question est trop large. Le jeu peut parfois en valoir la chandelle. C’est le genre de chose auquel tu ne peux répondre qu’au coup par coup. Un groupe s’est retrouvé à faire un morceau qu’il n’aime pas pour se retrouver à Taratata. Je ne leur jette pas la pierre, je sais les pressions qui peuvent arriver. C’était plus facile d’être exigeant dans les années 70. Le principe du rock n’roll c’est d’être un art et un business depuis le début. Quand on demandait aux Rolling Stones de chanter au Ed Sullivan Show sans dire « Lets Spend The Night Togheter » mais « Lets Spend Some times Togheter » ils ont dit oui et en échange ils ont eu l’amérique.
Pierre :
Attends tu le succès ?
Patrick Eudeline :
Ca peut arriver, en faisant des romans dans une grosse boite ou en faisant des disques qui ne sont pas si mauvais que ça, cela peut t’arriver (rire). De toute façon je ne le vivrais pas pareil maintenant que par le passé. C’est une tribune fantastique. Un terrain de jeu. Ca ne me déplairait pas.
Pierre :
Tu as déjà tout prouvé, alors qu’est ce qui te motive ?
Patrick Eudeline :
Je ne pense pas avoir déjà tout prouvé. Par rapport à mes pairs. Le grand succès populaire fait aussi partie de mes motivations. En même temps je fais pas tout pour ça. Je pourrais construire un bouquin pour, faire un plan en sous-main en musique, produire, j’ai la prétention de savoir faire ça. Je crois comprendre à peu près ce que la société attend et en tirer les ficelles mais je ne l’ai pas fait.
Pierre :
Le dormeur du val écrit par Patrick Eudeline il est mort d’amour par une femme fatale ?
Patrick Eudeline :
En tout cas, le dormeur du val c’est une belle image. Tu peux en faire ce que tu veux (rire)
Pierre :
A quel moment tu as compris que tu ne pourrais pas changer ?
Patrick Eudeline :
Je vais te dire à 18 ans mais à l’époque je ne me suis même pas posé la question. J’ai mis des années à réaliser que j’avais fait un choix. Et en définitive je n’en ai même pas fait. C’était une telle évidence. J’étais dedans, emmené par la vie. Après tu te poses des questions pratiques… Le jour où je ferais plus gaffe à mon obsession des fringues, des trucs rock n’roll comme mes guitares vintage, c’est que je serais mort ou très mal. C’est un réflexe de vivre de cette manière.
Pierre :
Tu as aussi la chance de vivre en plein cœur de Paris pour accepter cette vie « particulière » ?
Patrick Eudeline :
A l’adolescence quand mes parents m’empêchaient de sortir, j’avais l’impression que les choses explosaient sans moi. Comme si je n’y avais pas droit. Alors que j’habitais pas loin de Saint Germain des Pré. A 200 mètres il y avait le rock n’roll circus. L’expérience des gens de la province est assez semblable à ça. C’est encore plus fort quand tu es provincial même ! tu peux plus fantasmer sur des choses que tu n’as pas axé. Le fait d’être à l’endroit où tout arrive c’est complètement à double tranchant. Les Stones habitaient en banlieue, les Beatles à Liverpool.
Pierre :
je te donnes le choix d’écrire un article sur un grand groupe que tout le monde connaît ou d’aller dans une cave en bas de chez toi pour faire découvrir un artiste inconnu, tu fais quoi ?
Patrick Eudeline :
C’est plus marrant de voir le mec dans sa cave…
Pierre :
En est il meilleur ?
Patrick Eudeline :
Non ! c’est pas parce que les White-Stripes qui sont connus maintenant, sont mauvais. Leurs disques sont de meilleurs en meilleurs. En France c’est encore plus compliqué. C’est le seul pays où le mot « variété » existe. J’adore l’histoire de la musique dans notre pays. Alors ok on n’a pas Chuck Berry mais on a Baudelaire ce qui n’est pas mal non plus (rire).
Pierre :
Je voudrais évoquer la différence profonde entre « Dansons Sous les Bombes » un de tes romans par exemple et « Mauvaise Etoile » ton album ?
Patrick Eudeline :
Il y a une chose que je n’utilise pas dans le roman c’est tout ce qui touche au blues. Le texte de la chanson c’est le plus exigent des boulots. A cause de l’intégration avec la musique. Tu n’as pas une seconde chance. Tu as 3 couplets, t’as un refrain et voilà tu dois construire sur ça. Dans mes romans je ressens tellement de peur que les gens s’ennuient que j’en enlève trop. Pour une chanson tu ne peux pas prendre ton temps. Tu as 3 minutes pour gérer un climat, une dynamique.
Pierre :
On sent beaucoup de corrélation dans ton œuvre en général avec l’univers de Michel Houellbecq ?
Patrick Eudeline :
D’abord j’ai un vrai respect pour ce gars. C’est pas un hasard si dans le monde actuel il y a un Houellebecq. Il a dit des choses qui touchaient à la vérité sur le sexe ou la mort. Pour moi il a une valeur punk. Michel a ça. Je pense qu’il sent plus l’époque qu’il ne prophétise l’avenir. C’est comme d’être dans un train où tu vis le truc et qu’un mec lui qui est sur la colline le voit passer et voit ce qui va lui arriver. Il a cette distance. Il sent l’époque, il la comprend donc il devine ce qui va arriver.