Interview

Pierre Lapointe - Interview - Pierre Derensy


La musique de Pierre Lapointe est inexplicable, incroyable : tout simplement parfaite ! Dans chaque chanson il est facile de s’envoler via ses mélodies chatoyantes vers des pays des fleurs de la transe, remplies de lions imberbes, de combats sans arme, d’endomètre rebelle… voilà : le monde de ce jeune garçon est farfelu, imposant, raisonnant de milles petits chuchotement et de grandes cordes larmoyantes, de chœurs et de communion. Dans « La Forêt des Mal-Aimés » il est facile de se perdre et personne n’a l’intention de retrouver la clairière.

Pierre :
Avec votre disque j’ai l’impression de retrouver ce qui était très prisé dans les années 70 c’est à dire un album thématisé, conceptualisé ?
Pierre Lapointe :
Effectivement c’est un album-concept. Cela peut être un voyage, une découverte pour l’auditeur d’un univers particulier. Le thème de «La Forêt des Mal-Aimés » est un élément déclencheur pour ma création. C’est un encadrement qui me stimulait beaucoup. Paradoxalement chaque élément de cet album est selon moi indépendant et pas obligatoirement relié.
Pierre :
On s’imagine très bien ce disque comme support à une comédie musicale d’un one man chanteur ?
Pierre Lapointe :
C’est une exploration artistique qui pourrait peut être menée à ça un jour. Mais c’est surtout une exploration de formes musicales.
Pierre :
Vous intitulez votre disque « La Forêt des Mal-Aimés » mais c’était aussi le titre de votre premier spectacle ?
Pierre Lapointe :
Je travail d’une manière anachronique dans le milieu de la musique : Je démarre au départ d’un spectacle après cela m’amène à un album. Je n’aime pas l’idée qu’un album soit une fin en soi. Le disque pour moi serait plutôt employé pour faire un compte rendu de ce qui s’est produit sur scène. La tournée pour ce disque a commencé 1 an et demi avant la sortie de l’album. Chez moi la scène est expérimentale et le disque un moyen de condenser nos délires scéniques de manière plus figée.
Pierre :
Apparemment, pendant un certain temps vos chansons sont restées en gestation chez vous, c’était parce que vous aviez besoin de les faire mûrir encore ?
Pierre Lapointe :
Il y en a quelques unes que je n’avais jamais fait en spectacle, tout simplement car mon instinct me disait de les garder vierges jusqu’à l’enregistrement. D’autres chansons étaient écrites pour le spectacle. Il y a des titres que je ne trouve pas intéressant à jouer sur scène, qui troublent la cohérence du concert.
Pierre :
Dire que vous êtes un mélodiste fabuleux c’est encore minimiser votre musique mais d’où vous vient ce goût de l’enluminure ?
Pierre Lapointe :
Avant d’écrire des chansons j’ai fait des mélodies pendant ma fois 7-8 ans. Je n’avais pas idée d’écrire et de chanter des chansons. Ma première forme d’expression c’est de faire de la musique, avant même d’écrire un texte. Sur l’album d’ailleurs j’ai intégré 2 moments, 2 plages au piano où l’on peut respirer. C’est identique à deux personnes qui s’embrassent et reprennent leur souffle. C’est un répit, elles ne parlent pas. Mes instrumentaux sont des moments subjectifs. La musique laisse vagabonder une ambiance que chacun rempli à sa façon.
Pierre :
A t’on pu trouver dans la forêt des mal-aimés Pierre Lapointe à un moment de sa vie ?
Pierre Lapointe :
Tout le monde, n’importe qui de toute manière, à un moment de sa vie se sent délaissé non ? Même la personne la mieux entourée de la terre. Je n’ai pas l’impression d’avoir été dans une passe où j’étais rejeté. Pour moi un album c’est similaire à une pièce de théâtre. Certains auteurs vont écrire sur le thème du suicide et cela de manière récurente mais ne sont pas pour autant suicidaires. J’essaye toujours d’amplifier des sentiments normaux pour en faire des sentiments anormaux et spectaculaires !
Pierre :
Devenir chanteur c’est aussi quitter ce bois des sans amour car le public ne dégage en général que des choses positives ?
Pierre Lapointe :
A partir du moment où nous avons besoin d’aller sur une scène et de nous faire dévisager par une tonne de personnes simultanément je pense que c’est un rapport relativement malsain. C’est un besoin anormal d’être aimé ou apprécié (rire). Mais c’est une drogue jouissive également.
Pierre :
D’où vous vient cet onirisme : du cinéma de Jean Cocteau ou de votre enfance dans l’Outaouais québécois ?
Pierre Lapointe :
Mon univers est très visuel. Je n’écris pas un texte mais j’essaye plutôt de dépeindre une atmosphère. Tout découle de ce besoin de scène, de cette envie de mettre en mot comme en bouche un climat. Des artistes comme Tim Burton ou Jean Cocteau m’ont effectivement beaucoup influencé : il y a du merveilleux dans leur cinéma. Je désirais aussi écrire sur des choses qui n’existaient pas dans la « vraie » vie : je ne parle jamais d’une ville, il est impossible de situer dans le temps mon disque, je ne parle pas de gens physiquement présent dans mon existence, j’essaye de toujours rester très flou pour avoir cette sensation de poésie onirique.
Pierre :
Il y a dans votre album un mélange d’intimité et de grandiloquent, comme si vos textes bien souvent tristes ne pouvaient vivre qu’en compagnie d’un espoir musical ?
Pierre Lapointe :
Je suis tout à fait d’accord. J’ai toujours eu cette mélancolie, cette manière d’être solitaire dans ma peine. L’intérêt d’une œuvre d’art se trouve dans son contraste. Un texte triste sur une mélodie triste cela s’avère souvent être un gros pléonasme. Dire un truc atroce en charmant les gens ça donne du relief au travail et cela garde le spectateur ou l’auditeur réveillé.
Pierre :
On a l’impression aussi que vous livrez un combat contre vous même et qu’inexorablement c’est la défaite qui vous attend, êtes vous un guerrier de la chanson ?
Pierre Lapointe :
Je ne pense pas. La vie peut être considéré comme un combat ou une confrontation sur certains points même si cela peut paraître très fort comme assertion. Je ne porte aucun flambeau ni de demande à personne de me suivre dans mes batailles ! « Deux par Deux Rassemblés » qui parle de combat c’est une chanson qui est née d’une mélodie en m’inspirant de chants communistes et de l’hymne nationale japonais que les kamikazes chantaient avant d’aller se faire tuer. Il y a quelque chose de très troublant dans ce titre, une sorte de manipulation de masse, d’esprit patriotique à outrance. C’est ce paradoxe encore une fois entre la communion, la réunion des gens dans quelque chose d’effarant. Allez je vous le dis : pour moi ce serait l’hymne national pour toute l’humanité des déchus !(rire).
Pierre :
Grâce à vous, à Ariane Moffatt, on s’aperçoit que le Québec n’est pas que le pays des gueulardes exilées en France, est ce que la prochaine touche d’espoir venu du grand Nord ce sera Malajube, ce fameux groupe rock qui commence à se faire entendre dans l’hexagone ?
Pierre Lapointe :
J’espère ! J’ai énormément de respect pour ce groupe ! Je pense que depuis longtemps c’est le meilleur groupe francophone que Montréal ait connu. Ils ont une approche totalement indépendante, une sorte de rock indé avec une capacité pop extrême, qui peut être appréciée également par des gens qui ne sont pas prêts à écouter du rock « chargé » car ils ont des mélodies extrêmement joyeuses et accrocheuses.
Pierre :
Vous êtes en train de me donner la définition des Beatles !
Pierre Lapointe :
Oui ! (rire) carrément d’accord !
Pierre :
Je vous ai entendu reprendre Alain Bashung à la radio, vous avez aussi travaillé sur une chanson de Joe Dassin, êtes vous à l’aise dans cet exercice et comment faites vous pour vous approprier ces titres ?
Pierre Lapointe :
C’est hyper intéressant pour un auteur-compositeur de s’attaquer à un texte étranger. En ce moment dans mon spectacle au Québec je reprend « La Symphonie Pastorale » de Brigitte Fontaine, j’ai déjà repris Brel aussi. Cela me permet de sortir de ma vague. Cela déclenche quelque chose à l’intérieur de moi qui inconsciemment me fait du bien. Cela m’aide à avancer dans mon propre travail.
Pierre :
Vous venez vous produire sur Paris pour quelques dates d’ici peu mais on m’a aussi parlé d’une tournée en province, devrais je monter sur la capitale pour vous apprécier ou puis je espérer votre venue dans les grandes villes de France ?
Pierre Lapointe :
Nous sommes tellement dépendants des producteurs et diffuseurs de spectacle que je ne pourrais pas vous affirmer que je viendrais. Mais j’aimerais tellement ! Cela dépendra surtout de mes dates parisiennes. Je n’ai pas encore les moyens de dire « je viendrais jouer chez vous même si vous ne le voulez pas ! » (rire).