Interview

François Corbier - Interview - Pierre Derensy


Lorsque l’on parle de François Corbier aux moins de 30 ans ils revoient leurs années d’enfance, par contre lorsque vous évoquez François Corbier avec un plus âgé il vous parlera d’un chansonnier qui méritait mieux que l’image télévisuel qui lui a longtemps collé à la peau. C’est ce deuxième chanteur que je retrouve : avec beaucoup d’humour, une tendresse broussailleuse, un touché de guitare professionnelle, un grand respect des choses et des gens sous une impertinence de caractère il offre sa bouille populaire à un public qui regroupe toutes les générations. Rencontre autour d’une table du Musée de la Vie Rurale de Steenwerck.

Pierre :
Alors François tu es en pleine tournée ?
François Corbier :
Oui cela se termine ensuite je vais me reposer jusqu’à fin janvier pour ensuite repartir doucement et tranquillement… comme toujours…
Pierre :
Le dernier disque studio c’était « Tout pour être Heureux », est ce que passer ton disque le matin c’est un bon moyen de s’en rappeler ?
François Corbier :
Le titre de l’album est effectivement positif mais dans ce que je raconte c’est tout l’inverse (rire).
Pierre :
Ne serais tu pas de ceux qui déclarent qu’effectivement la vie est dégeulasse mais qu’il est indispensable d’en profiter ?
François Corbier :
En tout les cas moi j’essaye de dire que la vie est dégeulasse alors rions en ! moquons nous de ce que nous sommes et de ce qui nous arrive… parce que si tu ne ris pas avec ça il ne te reste plus qu’à te flinguer. On vit dans un monde de fêlé. Ce qui me semble dramatique ce n’est pas tant que des gens mettent leurs bébés dans des congélateurs : cela concerne la personne elle-même, ce qui me semble grave c’est que la presse nous parle de ça pendant des semaines ! Comme des gosses se jettent par la fenêtre lorsqu’ils ont vu Superman il y aura aussi d’autres gonzesses qui auront peut être cette idée de déni de grosses et de faire la même chose. L’information doit être donné sans insister lourdement dessus.
Pierre :
Tu redoutes la manipulation d’esprit ?
François Corbier :
On nous avait annoncé qu’on allait avoir l’été le plus chaud de l’histoire de l’humanité, on a préparé des plans anti-canicule, des spécialistes sont venus nous mettre en garde pendant des semaines pour finalement se peler de froid pendant tout l’été. Remarque cette brave dame qui avait mis son enfant au congélateur c’était peut être en prévision des grosses chaleurs. Essayons de rire des pires misères.
Pierre :
Penses tu que par l’humour le discours de tolérance et de liberté passe mieux ?
François Corbier :
Je crois…. Comme le disait Desproges : on ne peut pas rire de tout avec n’importe qui. Personnellement j’essaye. Je sais bien que c’est utopique et que je peux choquer. Je me dis que pour 1 personne choqué peut être que je fais du bien à 50 autres, quand leurs zygomatiques se remettent en place… c’est pas si mal que ça. Je présente mes excuses aux gens qui sont offusqués par mes propos. Ce n’est pas mon but, je souhaite juste que les gens puissent se lâcher sur des trucs épouvantables.
Pierre :
C’est une définition de chansonnier mais le chansonnier n’est il pas un animal en voix d’extinction ?
François Corbier :
Non parce que là aussi c’est une histoire de médias. Pendant des années les chansonniers étaient ce qui était de mieux. Il y avait des émissions à la télévision, la radio, les français aimaient ce style et nous avions une quantité de théâtre de chansonnier, cela fonctionnait très bien. Et puis un jour la mode est passée. La presse nous a tourné le dos et les gens ont eu l’impression que nous disparaissions. Un humoriste imitateur est un chansonnier. 9 fois sur 10 il fait dire à la vedette qu’il imite des énormités. C’est une forme. Ce qui tend à disparaître par contre c’est la porte qui était ouverte aux humoristes dans les radios et les télévisions. Qu’est ce qui passe dans les médias depuis une dizaine d’année : des chanteurs qui nous chantent leurs histoires de cœurs dont tout le monde se fout et l’on nous dis que c’est du génie. Je veux bien mais c’est du génie chiant !
Pierre :
Ton univers est similaire à un pamphlétaire comme Alphonse Allais ou un auteur d’idées noires comme Franquin ?
François Corbier :
Au niveau amitié je suis très amis avec Gotlib mais tu me flattes de me comparer à eux.
Pierre :
Es tu un homme qui aime la pirouette ?
François Corbier :
Tu n’as pas d’écriture, tu n’as pas d’humour ou d’ouverture vers l’autre sans le clin d’œil, sans le coté on est pas dupe. Le rire est le propre de l’homme. Sans être les bienfaiteurs de l’humanité les chansonniers sont là pour décrypter la vie.
Pierre :
Peut on dire que tu es par contre un chanteur ?
François Corbier :
Non, je n’ai pas une voix exceptionnelle mais justement je propose autre chose. Et justement pour la rigolade il vaut mieux compter sur des types comme moi que sur un type qui chante bien !
Pierre :
Qu’est ce que t’apporte une chanson lorsque tu l’écrits ou la compose ?
François Corbier :
J’ai une manière très bizarre de faire. J’écris des mots, des machins, et puis à un moment il y a parfois 2 mots qui me font penser à un truc pour trouver un sujet de chanson. Soit je me documente, soit je connais suffisamment le sujet pour écrire la chanson. Dans ce que j’écris d’un couplet à l’autre il y a pleins d’idée et on a l’impression que l’histoire ne se suit pas mais c’est à la fin que je dévoile le poteau rose. C’est un peu comme un roman foisonnant. Ca m’apporte le plaisir de fouiller, de chercher, d’essayer d’être au plus près possible de ce que les gens peuvent ressentir. Transmettre quelque chose. Je te rassure je ne fais pas que des chefs d’œuvres loin de là. Mais j’aime l’idée de comprenne qui veut, comprenne qui peut comme disait Boby Lapointe.
Pierre :
Tu as connus la célébrité par la télévision, tu fais par ailleurs : une très belle chanson sur le monde parfait qu’il nous offre tous les soirs…
François Corbier :
Les règles bleues ! Là je me moque de la publicité qui voudrait nous faire croire que le monde est magnifique puisque les femmes ont des règles bleues ! On montre la guerre dans le monde entier aux infos et ensuite on nous fait une publicité sur des tampons qui absorbent les règles et le sang est bleu. La vie est belle !
Pierre :
L’utilisation du net est il important pour toi afin que les gens puissent connaître ce que tu fais maintenant ?
François Corbier :
Oui et non. J’y passe beaucoup de temps. Je suis sur Myspace, j’ai plus de 10 000 amis. Je reçois pleins de courriers, j’essaye de répondre… Ca m’importe de savoir que les gens m’aiment bien. C’est pareil sur mon site qui marche bien. J’ai des gens qui m’écrivent du Japon, d’Allemagne, des Etats-Unis. C’est surprenant. Tout ça m’amuse et me fait plaisir. Pour travailler je ne pense intéressant.
Pierre :
Tu fonctionnes en autoproduction ?
François Corbier :
Pour l’instant.
Pierre :
Ce n’est pas un vœu personnel de ne pas signer dans une grande maison de disque ?
François Corbier :
Non, si Universal m’appelle et veut produire mon disque ça me rendrait bien service. Je n’ai rien contre les grosses structures, je n’y vais pas car ils ne me l’ont pas proposé. De toute manière, objectivement, lorsqu’ils mettent à la porte un type comme Alain Chamfort : ça doit poser des questions.
Pierre :
Un disque cela coûte cher ?
François Corbier :
Oui ! Si tu le fais vraiment. C'est-à-dire que tu dois engager des musiciens professionnels, les déclarer à la Sécu, tu dois payer le studio et les ingés sons. Une fois que tu as fait ton enregistrement tu dois faire le mastering. Ensuite tu as ton produit. Tu dois l’apporter à une société pour le tirer. Puis le disposer dans les magasins. Tu payes le photographe, le livret, etc.
Pierre :
Faut il encore croire au support « disque » ?
François Corbier :
Mais si tu n’en fais plus pourquoi continuer de faire des bouquins ? le disque a une fonction de distraire, de faire danser et d’éduquer. Apporter du plaisir. Y a un truc qui m’énerve beaucoup ce sont tous ces personnes qui téléchargent : c'est-à-dire qu’ils ont dépensé du fric pour avoir un ordinateur. Et c’est cher. Un système MP3 c’est cher même si cela ne représente pas une somme considérable. Ces gens sont d’accord pour acheter des instruments afin de piller celui qui crée. C’est étrange non ?
Pierre :
C’est une question d’éducation et de prise de conscience ?
François Corbier :
Quand tu offres une guitare à un jeune gars, qu’il gratouille : il va dans un bistrot. Le patron dit c’est génial, ça ne lui coûte rien et les gosses viennent jouer gratuitement. Et là t’as ce jeune type qui pense faire du spectacle mais en fait il fait de la merde parc’qu’il est encore en « formation ». C’est dur de dire ça et tu pourrais me prendre pour un méchant aigris. Mais non : je dis simplement que les patrons de bistrots sont des salauds parce qu’ils ne payent rien et se font du fric en vendant de la bière. Et cette petite métaphore s’applique aussi aux maisons de disques. Du coup les gens n’achètent pas les disques vu que ce sont de mauvais disques. Tu as aussi les boulimiques. Ceux qui veulent tout posséder dans un genre. 2000 disques téléchargés illégalement pour ne pas les écouter. C’est crétin.
Pierre :
Tes disques à toi sont bien arrangés, comment fais tu pour venir ensuite seul sur scène ?
François Corbier :
Comme j’ai la chance cette fois de ne pas passer en radio, les gens ne savent pas trop bien ce que je fais. Si je viens seul comme ils ne savent pas ce que je fais maintenant ils sont contents. Ce que j’aimerais à terme, et c’est difficile car je redémarre ma carrière à zéro, c’est de venir sur scène avec mes 3 copains musiciens. Flûte, guitare, basse et que ce soit de plus en plus costaud. Là je suis généralement avec ma guitare.
Pierre :
Tu dis « ma » guitare mais c’est plutôt « tes » guitares ?
François Corbier :
J’aime bien avoir des sons différents. Je prends beaucoup d’instruments. Ca prend beaucoup de place dans le coffre mais c’est agréable pour le public (rire). J’aime les guitares électro-acoustiques. Je suis en train de m’en faire une par un formidable luthier qui s’appelle Benoît de Bretagne et ce type est épatant. Tout le monde parle de lui. Si on veut une guitare magnifique il faut passer par lui.
Pierre :
Tu as un abécédaire sur ton site très réussit, vas-tu en faire un livre ?
François Corbier :
Souvent les gens m’en parlent. Ils aiment mes histoires courtes sur le corbiblog. Ca va de mon enfance à mes rencontres. Je ne sais pas si cela peut intéresser un éditeur.
Pierre :
Tu as peur de te lancer à cause de ton nom : François Corbier qui est une référence à François Villon !
François Corbier :
Non je ne crois pas (rire).
Pierre :
Il y a beaucoup de modestie dans tes propos, tu relativises peut être trop en te disant que tu ne fais « que » des chansons ?
François Corbier :
La modestie doit toucher tout le monde. Un menuisier ne doit pas se prendre pour un génie. On sait faire quelque chose, on le met à la disposition des gens, il n’y a pas de honte à le vendre cher si cela marche, si l’établis des mots te demandent beaucoup de temps et de souffrances tu as le droit de demander un salaire décent car la pièce est unique mais il n’y a pas à en tirer gloriole. Tu sais ce que j’aimerais ? c’est que les gens qui travaillent à la manufacture de Sèvres, ces types qui mettent des années à faire une pièce et j’aimerais savoir qu’ils ont eux même une pièce. Ca me fait chier ça ! C’est là qu’il y a quelque chose qui n’a pas bougé depuis la révolution. C’est toujours l’ouvrier qui fait les choses et qui n’a rien !
Pierre :
Le meilleur client pour une chanson satirique c’est l’homme politique ou le curé ?
François Corbier :
Je ne suis pas croyant et si les gens ont besoin de la religion philosophiquement pour aller mieux tant mieux, personnellement je n’en ai pas besoin mais je comprends que ce soit une aide pour certains. A partir de là je ne veux pas qu’on m’emmerde avec la religion. Et qui la transmet ? les curés de toute sortes : qu’ils soient catholiques, juifs ou musulmans. Tu vois que toutes les guerres viennent de la religion. Je me moque de ceux qui prétendent être en relation direct avec Dieu. Pour les hommes politiques c’est pareil, un gars qui te dit ‘je vais vous apporter le bonheur’ je m’en méfie terriblement (rire). Quand un président se promène avec une montre d’un million d’euros, qui raconte n’importe quoi, qui se trimballe avec des pouffiasses qu’il ramasse on sait pas où et qu’il va voir le Pape, c’est se foutre de la gueule des croyants et des électeurs. Pire encore c’est se moquer des pauvres. Remarque pour moi il n’y a pas de mec propre à gauche ou à droite. Il y a pleins de gens épouvantables qui passent devant des intellectuelles qui pourraient apporter des solutions. Je ne te dis pas droite gauche dans le même panier cependant.
Pierre :
On a parlé de ton image de chansonnier mais tu es aussi un fana de blues ?
François Corbier :
Enfant de l’après guerre tu ne peux qu’être un mélange d’amours et de passions entre les grandes plumes françaises et les racines du folk. D’aller vers le blues pionnier. J’aimerais dire aussi à cette génération du début des années 60 qu’on a appelé les yé-yé qu’ils ont pillé le blues et le folk de manière bête et redoutable. Quand j’entends « Si j’Avais un Marteau » il faut savoir que cette chanson est une chanson américaine avec un sens très précis. Elle a été écrite par rapport aux clodos qui allaient vendre leurs bras de villes en villes pour essayer d’avoir du boulot et qui voulaient un marteau pour construire, pour manger et pour faire sonner la cloche de la liberté. Il ne faut pas trahir les folk singer, moi et pleins de copains on a vraiment envi de laver un peu ces injures en communiquant sur notre passion.