Interview

Jacno - Interview - Pierre Derensy


Jacno a toujours eu, a encore, le sens de la formule. « Tant de Temps » ne fait que prouver que ce monsieur a la classe d’un dandy et la grâce d’un noble esprit qui fourmille d’idées et d’harmonies modernes. Oui le temps n’a pas de prise sur ce monolithe, le rencontrer c’est adhérer à ses bons mots, à sa musique luxuriante et à son mode de vie.

Pierre :
L’album s’intitule « Tant de Temps », au bout du compte, pensiez-vous avoir moins de temps ?
Jacno :
Je ne crois pas, je ne m’en préoccupe pas. Je m’en fous, je fais mes trucs, là c’est un disque assez travaillé mais pas au sens laborieux mais plutôt gambergé. Le temps est une de mes obsessions. Mais pas au sens du temps sur une vie… Ca peut être il y a deux milles ans. Ce titre se rapproche plus de la théorie de la relativité. Le temps est élastique, c’est une goutte d’eau.
Pierre :
Vous n’aviez donc pas encore brûlé toutes vos cartouches ?
Jacno :
Non, sinon je n’aurais rien enregistré
Pierre :
Je vis avec une sportive, est ce que le sport passif peut entraîner des complications sur ma propre personne malgré l’effet bénéfique de mes deux paquets de cigarettes ?
Jacno :
(rire) Je te le dis tout net : elle te fait du mal. Elle perturbe ton mode de vie très sain.
Pierre :
A 1 mois de la coupe du monde de football comparer le sport à la tabagie c’est vouloir rallier les anti-sportifs à votre panache ?
Jacno :
J’espère juste dire un maximum de conneries au moment adéquat. Mais tu sais, je n’ai pas de cause, je suis juste quelqu’un qui constate que le sport est la nouvelle religion du pécore. Quand tu regardes le journal télévisé on te parle de Saint-Étienne ou bidule avant de te parler des guerres ou du Pole Nord qui est en train de fondre. Théoriquement on devrait avoir de l’information alors que là tu passes ton temps à entendre parler d’une compétion de milliardaires qui courent après un ballon. C’est d’une débilité consternante.
Pierre :
Oui mais ce sont les jeux du cirque moderne ?
Jacno :
Les jeux du cirque c’était plus marrant. Tu avais des courses de chars au moins. Là ça marche parce que c’est proche du jeu vidéo. Enfin c’est vraiment des trucs à la con ! Mais le sport passif c’est vraiment mauvais pour les neurones.
Pierre :
Sérieusement, êtes vous énervé par cette société qui érige des règles de vie commune et qui oublie le bonheur individuel au profit d’un bien pensant collectif ?
Jacno :
Oui bien sur, là je tape sur le sport mais ça pourrait être autre chose. Je déteste la promiscuité, les règles… Toute la société actuelle est un hymne à la loi, aux règlements. De la même façon je ne supporte pas les religions, les modes d’emploi, le prêt à penser… Nous en sommes tous victimes
Pierre :
Peut on dire que vous êtes libertaire ?
Jacno :
Tout à fait ! … encore qu’il faut voir le sens qu’on y met. Je m’approche de ni dieu-ni maître.
Pierre :
Dans ce disque vous balancez entre le romantisme comme sur « T’es Mon Château » jusqu’au plus léger par « L’Homme de l’Ombre », est ce une manière de ne pas dévoiler entièrement votre tendresse ?
Jacno :
J’aurais tendance à dire que j’aime la dévoiler sous divers éclairages. Tout ce que j’écris est totalement auto-biographique. On peut lire à livre ouvert dans mes chansons. Même lorsque j’utilise des espèces de paraboles comme cette histoire de vampire. Y a peut être marqué « il » mais ça vient d’un truc très personnel.
Pierre :
Est ce qu’un chanteur se doit d’être un vampire pour exister, avez vous déjà volé le sang d’histoires très personnelle pour les offrir au grand jour ?
Jacno :
Quelque fois je le fais de façon déguisée. Comme un romancier. Nous pratiquons le même principe. Ce n’est pas tellement la question de chanteur mais plutôt celle d’auteur. Un auteur est obligatoirement un vampire. Par définition il faut que tout ça vienne de quelque part.
Pierre :
Au point où votre entourage pourrait se méfier de vous ?
Jacno :
Mais c’est le cas ! La chanson «L’homme de l’ombre» c’est ma compagne qui me l’a dit. Du coup je suis parti de cette phrase. Mais je suis un vampire sympathique. Enfin j’ose l’espérer. Je ne veux faire de tord à personne
Pierre :
Sucer le sang pour donner du plaisir aux gens ?
Jacno :
C’est ça le truc des vampires : c’est une attirance. Contrairement à ce que l’on peut penser dans les vrais histoires de vampires la victime est consentante. Attirée par Dracula par exemple. J’adore ces histoires, il y a une symbolique marrante, beaucoup moins trash que l’on pourrait croire.
Pierre :
Vous avez donné de nombreuses ailes depuis vos début aux femmes qui vous accompagnent sur vos chansons, pourquoi ce besoin d’avoir un regard de muse à Pygmalion ?
Jacno :
Je ne pense pas de cette manière. Par contre, j’adore les rencontres. C’est quelque chose de magique dans la musique. C’est un luxe de pouvoir rencontrer d’autres artistes. Des gens flashants. C’est génial, enregistrer avec quelqu’un c’est encore mieux que d’aller voir un concert. Je ne peux travailler qu’avec des gens que j’admire. Il faut que j’aime leur univers… et qu’ils aiment le mien (rire).
Pierre :
«Les amants, les Clients » c’est une métaphore de l’artiste avec son public ?
Jacno :
(Rire) Je n’y avais pas pensé. Il n’y pas malice par rapport à quelque chose de caché. C’est un petit film, dans le genre autobiographie c’est ce que je vois de mes fenêtres. Je vois des putes du côté rue Saint-Denis et boulevard Saint-Denis. Je vois tout le manège. Il y a un petit côté schizophrénique car les amoureux c’était moi dans ma bagnole
Pierre :
Avez vous encore de l’amour à donner et à recevoir ?
Jacno :
Oui j’espère.
Pierre :
Etes vous d’accord pour dire qu’il est plus dur de recevoir que de donner ?
Jacno :
Je ne suis pas d’accord avec toi, c’est le même courant. C’est une boucle. Je te parle de toutes les formes d’amour. Au sens traditionnel bien sur mais aussi l’amour de l’amitié. C’est quelque chose à entretenir sans faire d’effort. C’est un plaisir tout simplement de passer un coup de fil à quelqu’un que j’aime.
Pierre :
Je me demandais pourquoi vous aviez utilisé ce thème de l’Égypte pour la pochette mais « Si je te Quitte » ou « Baiser Empoisonné » sont là pour justifier les hiéroglyphes ?
Jacno :
C’est encore cette obsession du temps ! Ce truc abstrait que l’on ne peut maîtriser. Evidement le temps est lié aux sentiments.
Pierre :
Vous avez déjà eu l’occasion de retourner dans votre passé en faisant des séances d’hypnoses par exemple ?
Jacno :
Non mais ça serait marrant que j’essaye.
Pierre :
Vous êtes peut être comme Paco Rabane un pharaon qui s’ignore ?
Jacno :
Oui mais lui il barjotise pour pas cher (rire). Comme par hasard il était pharaon, il n’était pas une bourrique ou un criquet. Moi j’ai une sensation différente. Il faut relativiser. Surtout que l’on n’en sait rien. Tu n’as pas de photos pour prouver quoi que ce soit ! (rire) J’ai juste cette sensation de déjà vu, de connaître quelque chose ou quelqu’un. Et ça tout le monde l’a déjà ressenti.
Pierre :
C’est aussi la beauté de la vie ne de pas savoir ce qu’il y a au bout ?
Jacno :
Mais bien sur ! Quand des idées comme la prémonition rejoignent la science c’est très troublant. Savoir que le temps n’est pas identique sur l’univers c’est rentrer dans un truc de dingue. Je pense aussi à la vitesse sur le son.
Pierre :
« Avec les Yeux » c’est le plaidoyer du silence. Bizarre pour un homme de scène ?
Jacno :
Je ne suis pas un homme de scène. Je suis un martien. C’est exceptionnel que j’aille sur scène. J’aime l’écriture, le studio, la construction des chansons. C’est strictement musical. Les rarissimes fois où je monte sur scène je n’aime que le moment exclusif où je suis sur scène. Je déteste avant et après. C’est spécial.
Pierre :
D’où le fait de maîtriser le temps pour que vous ne puissiez vous retrouver « Que » sur scène ?
Jacno :
Absolument !
Pierre :
Alors comme vous l’évoquez dans « Si Je Te Quitte », est ce que c’est mieux avant-pendant ou après la petite mort?
Jacno :
J’aimerais bien savoir si quelqu’un à une réponse à cette fameuse question ! Franchement je te pose la question ouvertement sur le disque. Je ne sais pas ! La scène est dans le même registre pour moi.
Pierre :
Votre attirance allemande avec la mention sur le disque pour une chanson : ‘Enregistrée à Berlin’ vient d’un complexe Lou Reedien ?
Jacno :
Non, ça me faisait juste planer de raconter le son. Il y avait une atmosphère particulière que j’adorais surligner. Toutes les informations que l’on met sur un disque c’est intéressant, cela permet de s’immerger un peu plus dans la conception et voir pourquoi le résultat final sonne de cette manière.
Pierre :
Regrettez vous le moment où nous avions les 33 tours avec des pochettes immenses, où Internet n’existait pas alors que dorénavant il n’y a plus de mystère et l’information est accessible par tous ?
Jacno :
Tu rigoles, je ne regrette pas du tout. Surtout qu’il y a toujours du mystère. C’était une calamité l’analogique, les vinyles. Techniquement c’était chiant, toujours moins bien que ce que tu entendais dans le studio. Je n’ai aucun regret ou nostalgie pour cette époque. C’est vraiment cool le fait que l’on puisse se balancer des morceaux directement… Bon évidemment faut que les gens payent quand même (rire). Mais c’est un vrai plaisir cette époque.
Pierre :
Est ce que la dispersion de vos droits vous empêchent de sortir un best-of ?
Jacno :
Oui, je suis dans 12 maisons de disques différentes. Donc tu imagines pour les droits ! Mais justement vers Septembre on devrait ressortir mes albums et ça devrait être vraiment pas mal.
Pierre :
Votre discographie est éparpillée dans plein de maisons de disque, dans quelle structure vous êtes vous senti le plus à l’aise artistiquement ?
Jacno :
De toute manière c’est bidon, par exemple j’aimais bien dans la période ‘Elie et Jacno’ quand nous avions fait notre propre label mais de toute façon c’était maqué par une grosse boite de disque. Tout simplement car il faut des finances derrières. Donc c’était foireux et ça procurait plein d’emmerdes. Là avec les « Warnerien » je me sens bien. Ils sont efficaces.
Pierre :
Vous avez écrit ou produit pour beaucoup d’artistes, quel est l’homme ou la femme qui correspond le mieux à votre musique ?
Jacno :
Ho bhen y en a pas à part moi-même. L’intérêt de faire des chansons avec d’autres gens est plaisant car différent. Le proverbe dit « La plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a », moi je viens évidement à ma façon en faisant ce que je sais faire. Je n’essaye pas de rentrer dans l’autre !
Pierre :
Sincèrement vous n’avez jamais collaboré avec quelqu’un pour payer vos impôts ?
Jacno :
Non jamais ! je le regrette d’ailleurs (rire). J’ai refusé des artistes car je trouvais que c’était de la merde.
Pierre :
Vous êtes passé à côté de qui par exemple ?
Jacno :
Je ne te le dirais pas (rire). Des artistes assez énormes. Mais je ne te dirais pas leur nom. Même si ce sont des gens à mon avis nazes je ne me permettrais jamais de les dégommer en disant ‘l’autre idiote ou l’autre abruti’, je préfère parler des gens que je trouve géniaux. Une de mes grandes fiertés récentes c’était d’avoir un titre sur l’album de Françoise Hardy. Elle c’est la Roll Royce !
Pierre :
Pour terminer, comme je ne peux pas passer à côté, avez vous entendu le prochain album de votre ancienne comparse Elie Mederos ?
Jacno :
J’en ai entendu des bouts. Et ça a l’air très bien. Je pense qu’elle a fait le bon choix de faire un disque électrique. C’est dans les chansons rock qu’elle est bien.